Les risques de travailler seul ou en milieu isolé
Par Shirley Bishop et Julie Mélançon
26 avril 2019
Qu’ont en commun le gardien de phare, le camionneur, le travailleur forestier, l’infirmière qui fait des visites à domicile et le caissier d’une station d’essence libre-service? Toutes ces personnes effectuent leur travail seules ou en lieu isolé, à l’instar de plusieurs milliers de travailleurs et travailleuses au Québec.
D’abord, distinguons l’employé seul à son poste de travail et le poste de travail isolé. Le terme « seul » s’applique à un travailleur alors que le terme « isolé » peut s’appliquer dans le cas d’un lieu de travail ou de l’absence de communications. Ainsi, on pourrait préciser qu’un « travail isolé » signifie ne pouvoir compter que sur soi-même tant en cas de danger qu’en cas de prise de décisions. Un travailleur peut être seul sans être isolé s’il a un moyen de communication avec une personne en mesure de lui offrir le soutien approprié. À l’inverse, un groupe de travailleurs peuvent être considérés comme isolés si une assistance ne peut être obtenue rapidement. Les auteurs d’une recherche menée à ce sujet par l’Institut national de recherche et de sécurité, en France, donnent l’exemple des astronautes, en communication constante avec leur base terrestre. L’équipe est seule, mais elle n’est pas isolée. En cas de problème, comme ce fut le cas lors de la mission Apollo 13, le soutien reçu de l’équipe terrestre a apporté toute une différence.
Que prévoit la réglementation?
L’article 322 du Règlement sur la santé et la sécurité du travail stipule que « lorsqu’un travailleur exécute seul un travail dans un lieu isolé où il lui est impossible de demander de l’assistance, une méthode de surveillance efficace, intermittente ou continue, doit être mise en application ». On trouve des dispositions similaires dans le Règlement sur les travaux forestiers et le Règlement sur la santé et la sécurité dans les mines.
Toutefois, selon la situation, en matière de travail isolé, d’autres mesures de prévention et d’urgence devraient être considérées.
Chauffeur de taxi, livreur, travailleur de rue, facteur, inspecteur en bâtiment qui se déplace seul sur des chantiers, préposé d’aréna seul en fin de soirée, surveillant de nuit, travailleur forestier ou travailleur minier, etc., les exemples de travailleurs seuls ou en milieu isolé sont nombreux… et les situations de travail, fort différentes. Une première évaluation doit donc d’abord être faite pour déterminer la situation du travailleur pour cibler les risques : seul en un lieu éloigné, seul en lieu habité, seul en contact avec le public ou en équipe en un lieu éloigné.
Évaluation des risques
La première analyse à effectuer est celle de savoir si le travail seul ou isolé est vraiment nécessaire, en se rappelant que les conséquences d’un accident peuvent s’aggraver de façon importante en situation de travail isolé, notamment lorsque les secours ne peuvent se rendre sur place rapidement. Si le travail isolé est essentiel, les tâches à exécuter ou non devraient être clairement définies de manière à limiter le plus possible les risques. Dans certains cas, l’analyse d’une situation de travail isolé peut conduire à la conclusion que la présence d’un ou de plusieurs coéquipiers est essentielle pour réduire les risques ou l’aggravation probable des conséquences d’un accident.
Par exemple, des employés d’entretien de piscines peuvent effectuer des tâches alors que les sauveteurs sont en poste plutôt que seuls; ou des bureaux sont aménagés à proximité d’une salle d’archives qui était isolée, permettant ainsi à l’archiviste de pouvoir compter sur la présence d’autres travailleurs.
À l’usine de traitement des eaux de la ville de Salaberry-de-Valleyfield, par exemple, le travail est rigoureusement planifié pour minimiser les risques, tant pour les employés que pour la santé publique. Le superviseur de l’usine, Pierre Berniqué, explique que « les travaux importants qui comportent davantage de danger, comme le remplacement de pièces ou les entretiens ponctuels, se font le jour lorsque plusieurs employés sont sur place. La personne qui effectue seule la surveillance pendant la nuit ou la fin de semaine se voit attribuer des tâches qui présentent le moins de risques possible. »
Communication et urgences
Des mesures appropriées doivent être prévues en tenant compte des particularités liées aux risques du travail isolé. Une combinaison de moyens de communication et de surveillance doit être mise en place. Les travailleurs concernés doivent quant à eux recevoir une formation adaptée au contexte afin qu’ils connaissent bien l’environnement dans lequel ils effectueront la tâche, les dangers, les risques. Ils doivent aussi bien comprendre l’importance d’utiliser les moyens de prévention pour éviter qu’un travail isolé ne devienne un travail risqué.
Une évaluation des situations possibles et des conséquences probables doit être effectuée pour mesurer le degré de risque. « Par exemple, si un travailleur forestier se blesse alors qu’il se trouve seul à des dizaines de kilomètres en forêt, dispose-t-il d’un moyen de communication efficace pour joindre les secours ? En combien de temps les secours peuvent-ils être sur place? Est-ce que le travailleur devrait être seul ou accompagné d’un coéquipier? », demande François R. Granger, conseiller expert en prévention-inspection à la CNESST, en évoquant qu’il s’agit de questions dont les réponses devraient être contenues dans un protocole d’urgence propre à chaque organisation et situation de travail. Dans tous les cas, il faut prévoir un système efficace de déclenchement des mesures d’urgence et d’envoi des secours. « Les règles de l’art en communication visent à assurer un moyen de communication bidirectionnel, permettant aux travailleurs isolés de demander eux-mêmes de l’assistance et à l’employeur de vérifier si tout va bien. Dans certaines situations, pour lesquelles l’analyse montre un risque qu’un travailleur seul ne puisse être en mesure de communiquer, un système de localisation et de détection de son état, tel un système d’alarme pour travailleur isolé, ou DATI, doit être considéré. »
Parmi les mesures de sécurité mises en place à l’usine de traitement des eaux de Salaberry-de-Valleyfield, il y a un service d’appels automatisés qui permet de garder un contact régulier avec l’employé qui est seul à l’usine. « Toutes les deux heures, le service téléphonique contacte l’employé. En cas d’absence de réponse, un nouvel appel est programmé dix minutes plus tard. Après trois essais, s’il n’y a pas de réponse, je suis immédiatement avisé et je me rends sur place », explique M. Berniqué.