Pénurie de main-d’oeuvre

Des enjeux liés à la santé et à la sécurité

Par Louis-Antoine Lemire

31 octobre 2023

Photo : Suzan Tucker/Shutterstock.com

La pénurie de main-d’œuvre qui sévit actuellement exerce une pression sur les milieux de travail. Louis-Alexandre Girard, conseiller en concertation à la CNESST, nous parle des impacts associés à ce phénomène et rappelle l’importance d’adopter des pratiques préventives dans ce contexte.

Des heures d’ouverture écourtées, des fermetures d’entreprises, des bris de services dans certains centres de soins de santé, des files d’attente plus longues dans les épiceries… Nous sommes tous, de près ou de loin, touchés par le phénomène de pénurie de main-d’œuvre qui dure depuis un moment déjà et qui affecte la majorité des secteurs d’activité. En 2022, le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale estimait qu’il y aurait plus de 1,6 million d’emplois à pourvoir au Québec entre 2021 et 20301. M. Girard rappelle que, au-delà de ses effets sur l’obtention de biens ou de services, la pénurie de main-d’œuvre peut également entraîner, pour l’ensemble des milieux de travail, des enjeux supplémentaires en matière de santé et de sécurité du travail (SST).

À ce titre, la pénurie peut entraîner une augmentation des facteurs de risque présents dans les milieux de travail. Parmi ceux-ci, le conseiller mentionne le risque de violence engendré par l’insatisfaction suscitée par les délais pour l’obtention d’un bien ou d’un service. En raison d’un manque de personnel, les travailleuses et travailleurs peuvent être appelés à faire des quarts de travail plus longs, ce qui peut causer de la fatigue. En outre, dans le but d’atteindre les objectifs de production fixés par l’organisation, certains travailleurs et travailleuses pourraient être amenés à effectuer leurs tâches plus rapidement et, par le fait même, à délaisser certaines méthodes et techniques de travail sécuritaires au profit de la productivité.

Les 5 conditions gagnantes de la prise en charge de la SST

  1. l’engagement et le soutien de la haute direction
  2. la participation des travailleurs
  3. la responsabilité des travailleurs et des employeurs
  4. l’organisation de la prévention
  5. l’évaluation de la performance du milieu de travail en SST

Les employeurs peuvent également consulter l’outil Démarche d’intégration de vos nouveaux travailleurs pour s’assurer de réaliser correctement toutes les étapes de l’intégration d’un nouveau travailleur.

L’élargissement du bassin de main-d’œuvre et ses défis

Afin de pourvoir les nombreux postes vacants, différents moyens sont adoptés actuellement par les milieux de travail. Comme l’indique une enquête réalisée par Statistique Canada en 20222, l’amélioration des conditions de travail, par le biais de l’augmentation des salaires, d’une plus grande flexibilité en lien avec les heures de travail et de la possibilité de faire du télétravail, constitue l’une des stratégies utilisées pour attirer de nouvelles ressources ou favoriser la rétention du personnel.

Une autre stratégie consiste à élargir le bassin de main-d’œuvre en favorisant l’embauche de jeunes travailleuses et travailleurs, en recrutant davantage de personnes immigrantes et de travailleuses et travailleurs étrangers temporaires (TET) ou même en incitant les personnes retraitées à retourner sur le marché du travail. Toutefois, comme le souligne M. Girard, « depuis quelques années, nous avons pu voir une augmentation importante du nombre de jeunes travailleuses et travailleurs de moins de 16 ans qui subissent un accident de travail ». À ce sujet, l’article 84.2 de la Loi sur les normes du travail prévoit notamment que les employeurs doivent s’assurer que les jeunes effectuent des tâches qui correspondent à leurs capacités et qui ne risquent pas de nuire à leur développement physique ou moral. Aussi, depuis 1er juin 2023, la Loi sur l’encadrement du travail des enfants est en vigueur. Cette loi vient limiter l’âge légal pour travailler à 14 ans. Des exceptions s’appliquent toutefois pour certains emplois prévus par la Loi. L’employeur qui souhaite embaucher un enfant de moins de 14 ans visé par l’une de ces exceptions doit obligatoirement obtenir le consentement écrit du parent ou du tuteur de l’enfant au moyen du formulaire établi par la CNESST. Le conseiller ajoute que les employeurs doivent également porter une attention particulière à leurs jeunes travailleuses et travailleurs dès leur intégration dans le milieu de travail.

Des jeunes à protéger

En effet, puisqu’ils ont récemment intégré le marché du travail et qu’ils sont plus susceptibles de changer d’emploi, les jeunes se retrouvent plus souvent en situation de nouveauté à l’emploi et sont donc moins familiers avec les méthodes de travail utilisées et les risques présents dans leur environnement. Souhaitant réussir leur intégration et faire bonne impression dans leur nouveau milieu de travail, les jeunes seraient également moins portés à poser des questions ou à faire part de leurs préoccupations en lien avec les enjeux de SST. Il est donc important de les amener à prendre la parole et de favoriser l’écoute. D’ailleurs, à la page intitulée Je pense à embaucher de jeunes travailleurs de son site Web, la CNESST met à la disposition des employeurs l’information nécessaire pour accueillir adéquatement les jeunes travailleuses et travailleurs.

L’augmentation du nombre de travailleuses et travailleurs issus de l’immigration

Comme en témoignent les manchettes des dernières années, de plus en plus de milieux de travail embauchent des travailleuses et travailleurs issus de l’immigration permanente ou temporaire ou réclament leur arrivée. Le défi de ces employeurs consiste à prendre en compte les réalités particulières auxquelles sont confrontées ces personnes et qui peuvent constituer un facteur de risque additionnel pour la santé et la sécurité du travail. M. Girard mentionne ainsi l’enjeu de la barrière linguistique que rencontrent certains milieux de travail et qui peut nuire à la transmission d’informations liées à la SST, notamment lors des périodes de formation et de supervision ou lorsqu’on demande aux travailleuses et travailleurs d’identifier des risques présents dans leur environnement. Pour assurer le respect de leurs obligations, les milieux de travail doivent s’assurer que les informations en santé et sécurité du travail soient bien comprises par les travailleuses et travailleurs allophones et veiller à ce que la communication entre ces derniers et leurs employeurs soit maintenue. M. Girard ajoute que, en plus de méconnaître les droits et les obligations qui s’appliquent au Québec en matière de travail, de nombreux nouveaux arrivants cumulent des situations de précarité, telles que l’instabilité économique et le fait de bénéficier d’un statut migratoire incertain ou de rencontrer des barrières d’accès à l’emploi. Le cumul de ces situations de précarité les rend particulièrement vulnérable aux lésions professionnelles et nuit à l’utilisation optimale des services de la CNESST.

À cet effet, plusieurs chercheuses et chercheurs canadiens et québécois3 ont montré que ces problématiques peuvent pousser les travailleuses et travailleurs à accepter des conditions de travail dangereuses, à s’abstenir de dénoncer toute situation qui pourrait compromettre leur santé, leur sécurité ou leur intégrité physique ou psychique, de peur de subir des représailles. Dans le cas des travailleuses et travailleurs étrangers temporaires (TET), par exemple, cette crainte accompagne celle de perdre leur principale source de revenus ou leur opportunité de travail au Canada l’année suivante. Les milieux de travail devraient prendre un moment pour bien expliquer aux travailleuses et travailleurs issus de l’immigration les droits et obligations en matière de travail et être proactifs pour les impliquer dans la démarche de prévention.

Prendre soin de ses travailleuses et travailleurs

M. Girard rappelle que, malgré le contexte de pénurie de main-d’œuvre, les employeurs doivent se conformer à l’article 51 de la LSST, qui stipule qu’ils doivent offrir des milieux de travail sains et sécuritaires. « Les employeurs ont tout à gagner en misant sur une prise en charge proactive de la SST. Offrir un milieu de travail sain et sécuritaire, miser sur l’information, la formation et la supervision des nouveaux travailleurs et travailleuses… Ces éléments contribuent à l’amélioration des conditions de travail, ce qui a pour effet de favoriser la rétention du personnel et d’améliorer l’image de l’entreprise », dit-il.

Une mauvaise prise en charge de la SST serait également contre-productive pour un milieu de travail, conclut le conseiller, puisqu’un accident du travail ou une maladie professionnelle peuvent occasionner l’absence au travail de la personne blessée ou même mener à un arrêt forcé de la production. La participation des travailleuses et travailleurs permet aussi de favoriser la prise en charge de la SST. C’est une responsabilité partagée entre l’employeur et ses travailleuses et travailleurs. Ils doivent collaborer pour identifier, éliminer et contrôler les risques.

  1. Ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale (2022).
    État d’équilibre du marché du travail à court et moyen termes : Diagnostics pour 500 professions, Édition 2021.
  2. MORISSETTE, R., (2022). Réponses des employeurs aux pénuries de main-d’œuvre. Rapports économiques et sociaux. Revues et périodiques : 36-28-0001 au catalogue de Statistique Canada.
  3. KOSNY, A. et autres (2010). Immigrant workers’ experiences of injury reporting and claim filing, Toronto, Canada: IWH. GRAVEL, S., et autres (2006). Critères pour apprécier les difficultés d’accès à l’indemnisation des travailleurs immigrants victimes de lésions professionnelles, Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, (8-2).

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