Faire évoluer les mythes de la santé et la sécurité au travail

Par Valérie Levée

12 septembre 2019

Le leitmotiv de Marc-André Ferron, consultant en gestion de la santé et de la sécurité au travail : « protéger 100 % des gens, 100 % du temps ». Pour parvenir à cet objectif, il a aussi une stratégie schématisée par une courbe et une pyramide qui portent son nom. Il a présenté les deux outils, basés sur les principes de la loi et de la diligence raisonnable, au Grand Rendez-vous santé et sécurité du travail, le 1er mai dernier, à Québec, lors de sa conférence intitulée « Faire évoluer les mythes sur la santé et la sécurité au travail ».

Un objectif aussi péremptoire ne laisse aucune place à l’improvisation et requiert une stratégie efficace. Les ressources humaines et financières en santé et sécurité au travail étant souvent limitées, comment bâtir cette stratégie optimale? Marc-André Ferron mentionne le principe de Pareto selon lequel 20 % des causes engendrent 80 % des résultats. Extrapolé pour la santé et à sécurité au travail, cela signifie que 20 % des risques présents dans une entreprise génèrent 80 % des événements les plus graves et que 20 % des efforts de gestion produiront 80 % de résultats. Mais où mettre ces 20 % d’efforts?

Des mythes à déconstruire

Les pyramides de Heinrich et de Bird, et la courbe de Bradley servent parfois de guides ou de références en matière de santé et de sécurité au travail pour un bon nombre d’organisations, mais ce sont là « des dinosaures qu’on traîne depuis trop longtemps », prévient Marc-André Ferron. La pyramide des accidents de Heinrich date de 1931 et stipule que sur 330 accidents, 29 entraîneront des blessures mineures et un seul causera des blessures majeures. Précision d’importance, ces ratios valent pour des accidents de même nature. Pour parvenir à ces ratios, Herbert Heinrich aurait analysé quelque 50 000 accidents. On peut se questionner sur l’existence et la qualité des registres d’accidents et des rapports d’enquêtes de 1931 ainsi que sur la validité du ratio en 2019, alors que les environnements de travail et les causes d’accidents ont considérablement changé. À l’époque, il n’y avait pas de méthodes d’enquête, de formulaires, les gestionnaires n’étaient pas formés pour enquêter, même que souvent, ils étaient illettrés.

Plus récente, la pyramide de Frank E. Bird est apparue en 1969 et reposerait, quant à elle, sur 1 753 498 accidents survenus dans 297 entreprises en une année. Selon celle-ci, pour 641 incidents, 30 incidents seront signalés, 10 seront des accidents avec blessure et 1 sera fatal. Ce ratio suggère qu’il y aurait eu 19 événements par entreprise, par jour, et qu’il y aurait 9 accidents mortels par entreprise chaque année. Heureusement, ce n’était pas le cas!

Enfin, la courbe de Vernon Bradley, développée par DuPont en 1995, énonce que le travailleur qui dépend initialement des procédures et des équipements de sécurité mis en place par son employeur développe une maturité et des valeurs personnelles pour devenir indépendant et assurer lui-même sa sécurité. Ultimement, il devrait oeuvrer de concert avec ses collègues pour assurer leur sécurité en interdépendance. Vernon Bradley a dérivé sa courbe d’un livre de croissance personnelle de Stephen R. Covey, qui retrace comment un individu dépendant de ses parents acquiert son indépendance pour devenir interdépendant de son cercle d’amis. « Ça n’a rien à voir avec la santé et la sécurité », clame Marc-André Ferron. C’est surtout en contradiction avec l’article 51 de la Loi sur la santé sécurité du travail (LSST), qui stipule que « l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique du travailleur ». Il doit également assurer la supervision appropriée. « Le travailleur dépend de son employeur sur tous les plans : l’environnement de travail fourni, les outils mis à sa disposition, l’organisation du travail et la tâche qu’on lui assigne », rappelle-t-il.

Une nouvelle pyramide à construire

Marc-André Ferron s’en remet au Code criminel canadien pour rappeler les devoirs de l’employeur s’il ne veut pas être poursuivi pour négligence criminelle. L’article 219 stipule en effet « qu’est coupable de négligence criminelle, quiconque, soit en faisant quelque chose, soit en omettant de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui ». Le devoir est défi ni comme étant une obligation imposée par la loi. L’employeur qui n’accomplit pas ses obligations peut donc être poursuivi pour négligence criminelle. Marc-André Ferron spécifie trois propriétés pour mener à bien un devoir et sur lesquelles il a construit la pyramide de Ferron : la prévoyance, l’efficacité et l’autorité.

La prévoyance constitue le socle de la pyramide. Prévoir, c’est anticiper en analysant les postes de travail et les tâches pour déterminer les dangers présents dans un milieu de travail. « Un mécanicien, illustre-t-il, peut être exposé à des énergies dangereuses, à des produits toxiques, il doit déplacer des charges lourdes, peut se retrouver coincé… mais on ne traite pas tous ces dangers sur un pied d’égalité. » Il faut les prioriser selon leur gravité, la probabilité et la fréquence de la tâche. « Ça permet de cibler les 20 % de dangers qui vont générer les 80 % des événements les plus importants et d’orienter les 20 % d’efforts pour obtenir 80 % de résultats », indique Marc-André Ferron.

Il faut ensuite gérer ces risques avec efficacité, voilà l’objet d’un côté de la pyramide, également détaillée par la courbe de Ferron. Celle-ci s’inspire de la hiérarchie des moyens de prévention, de l’élimination des dangers à la source jusqu’aux équipements de protection individuelle. L’élimination du danger ou son confinement offre la meilleure efficacité en protégeant 100 % des travailleurs en tout temps.

Si les dangers ne peuvent pas être éliminés ou réduits à la source, l’entreprise doit déployer des programmes qui vont définir les rôles et les responsabilités de l’employé et de l’employeur. Mais pour être efficaces à 100 %, ces programmes doivent être appliqués à 100 %. Or, « sans imputabilité sur les rôles et responsabilités, tout le monde fait ce qu’il veut, prévient Marc-André Ferron. Il n’y a pas un manque d’appropriation de la santé et de la sécurité, mais il y a un manque d’appropriation des rôles dans nos organisations ». C’est là qu’intervient l’autorité, le troisième côté de la pyramide, valable tant pour les gestionnaires que pour les employés.

Marc-André Ferron conclut sa conférence avec l’exemple d’une entreprise qui voulait remédier aux chutes sur la glace dans le stationnement. Pour circonscrire ce danger, l’employeur qui ne pouvait pas éliminer complètement le danger à la source a distribué des crampons à ses employés. Mais qui va chausser ses crampons en sortant de son véhicule, s’il n’y a aucune conséquence à ne pas les porter? Personne! Même si tout le monde sait que la glace glisse. Il a fallu qu’un règlement clairement défini ordonne le port de crampons sous peine de sanction pour enrayer les chutes. Comme quoi, sans l’autorité, la pyramide et tous les efforts de gestion de santé et de sécurité s’écroulent.

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