TDAH à l’âge adulte : obstacles et stratégies au travail

Longtemps perçu comme un trouble associé à l’enfance, le TDAH persiste fréquemment à l’âge adulte. Souvent méconnu ou mal compris, il suit fréquemment les individus au cours de leur vie, affectant leur quotidien et leur performance au travail. Alors, comment mieux le repérer, le comprendre et le gérer? On en a parlé avec la Dre Annick Vincent, psychiatre clinicienne, formatrice et auteure.

Le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) est une condition neurodéveloppementale qui entraîne des difficultés à s’automoduler, à contrôler et à freiner les idées (inattention), les gestes (bougeotte physique) et les comportements (impulsivité). Chez certains, le TDAH peut aussi entraîner une difficulté dans l’autogestion des émotions (hyperréactivité émotionnelle). Contrairement aux idées reçues, il ne s’agit pas d’un manque de volonté et ce trouble n’a rien à voir avec l’intelligence. Certes, il engendre des défis chez les personnes qui en sont touchées, comme des difficultés à orienter et à maintenir le focus, une sensibilité accrue aux stimuli distrayants, des erreurs d’inattention, de la procrastination ou de la désorganisation, mais il peut aussi s’accompagner d’atouts précieux, comme la créativité, la capacité de trouver des solutions novatrices et une capacité d’hyperfocalisation sur des sujets qui les passionnent. Ainsi, en adoptant les bonnes stratégies pour tirer profit de ces forces tout en limitant leurs défis, les personnes vivant avec le TDAH peuvent devenir de véritables atouts au travail et rehausser l’efficacité du groupe.

Le TDAH chez l’adulte : des symptômes parfois invisibles

Le TDAH est présent dès l’enfance, mais il peut parfois passer inaperçu jusqu’à ce que ses impacts soient plus visibles. En effet, les manifestations de l’hyperactivité motrice et de l’impulsivité dans les paroles ou les comportements sont plus apparentes que l’inattention. Parfois, la mise en place intuitive de stratégies peut être suffisante dans certains contextes et faire en sorte que le TDAH soit démasqué plus tardivement. À l’âge adulte, les demandes cognitives et d’autorégulation s’accroissent, tandis que l’aide apportée par les proches diminue. Les manifestations peuvent alors évoluer et devenir un peu plus évidentes, particulièrement dans le cadre professionnel, où elles touchent la gestion du temps, la concentration et l’organisation. « Le TDAH peut avoir des impacts du matin au soir, explique la Dre Annick Vincent. Si notre journée commence mal — avec des oublis ou une routine désorganisée, par exemple — les conséquences peuvent se répercuter sur l’ensemble de nos activités, y compris au travail. Une bonne planification et un démarrage réussi le matin font toutefois une grande différence. »

Les symptômes d’hyperactivité liés au TDAH se manifestent souvent de manière plutôt subtile : ils peuvent prendre la forme d’erreurs d’inattention, d’oublis fréquents, de difficultés à prioriser les tâches, à faire le tri et la synthèse des informations, à filtrer les stimuli externes et même les idées. L’aménagement de l’environnement joue un rôle important pour réduire les impacts de la sensibilité accrue aux distractions. « Les bruits et les stimuli visuels non pertinents à la tâche, comme une lumière trop vive ou une odeur forte, peuvent suffire à perturber la concentration d’une personne qui a un TDAH », précise la Dre Vincent. En d’autres mots, des éléments parfois invisibles pour les autres prennent une ampleur particulière pour les personnes concernées.

Défis et opportunités au travail

Le milieu professionnel représente souvent un défi majeur pour les personnes vivant avec un TDAH. La planification, la gestion des imprévus et des délais, la structuration des idées ou la priorisation des tâches peuvent rapidement devenir des sources de stress. « La procrastination est fréquente, tout comme les difficultés à terminer les projets lorsque la phase stimulante est terminée », ajoute la Dre Vincent. Ces défis peuvent nuire à la productivité et alimenter un sentiment de frustration chez les personnes ayant un TDAH ainsi que chez celles qui les entourent. Cependant, selon l’experte, réduire ces gens à leurs difficultés serait une erreur. Lorsqu’ils sont dans des environnements dynamiques et stimulants, ils excellent souvent grâce à leur créativité et leur capacité à trouver des solutions originales. « Lorsque ces personnes travaillent sur un projet qui les passionne, leur hyperfocalisation peut devenir une force incroyable », souligne-t-elle.

Un TDAH mal géré, en revanche, peut entraîner des répercussions importantes, affectant non seulement la performance professionnelle, mais aussi la santé globale. « Ces personnes sont plus à risque d’accident, notamment en raison de leur inattention et de leur impulsivité, explique l’experte. Pendant la pandémie de COVID-19, par exemple, elles étaient surreprésentées parmi les cas de contamination. Pourquoi? Parce que suivre des consignes strictes demande une attention constante, ce qui peut être plus difficile pour elles. »

De stratégies pour transformer le TDAH en force

Heureusement, il existe des solutions concrètes pour surmonter les défis liés au TDAH dans le milieu professionnel, et ces stratégies ne se limitent pas à la médication. En effet, il faut savoir que favoriser l’attention est une stratégie positive pour tout le monde, qui ne bénéficie pas seulement aux personnes qui ont un TDAH. D’abord, il est essentiel de structurer son quotidien. Des outils, comme des agendas, des applications mobiles ou des alarmes, permettent de mieux gérer le temps dont on dispose et ses échéances. La méthode Pomodoro, qui consiste à travailler par blocs de temps courts entrecoupés de pauses, est particulièrement efficace pour maintenir la concentration.

Fractionner les tâches est également un élément clé. Face à une tâche complexe, il est conseillé de diviser les étapes en sous-objectifs simples et atteignables (et de les placer dans l’agenda à un moment précis). Cela limite la procrastination et facilite l’avancement des travaux. « Les délais vagues, comme lorsqu’on dit : “on s’en reparle dans deux mois”, sont à éviter. Il vaut mieux établir des étapes courtes, avec des échéances claires et rapprochées », conseille la Dre Vincent. Au travail, des instructions simples, courtes, précises et visuelles (graphiques, listes, schémas) sont également d’une grande aide. Par exemple, un long courriel détaillé risque de détourner l’attention du lecteur, de le décourager et de limiter sa capacité de réaction, tandis qu’un message clair favorisera plutôt sa compréhension.

Pour maximiser la productivité et l’épanouissement des personnes atteintes de TDAH, mais aussi de toutes celles qui souhaitent favoriser leur attention, la Dre Vincent propose de suivre l’acronyme FOCUS :

• Force : gérer son énergie en priorisant le sommeil, l’activité physique, une alimentation équilibrée et des pauses régulières pour se ressourcer
• Orientation : s’organiser, structurer son emploi du temps selon le niveau de priorité (importance et urgence) en utilisant un agenda, des listes et des rappels
• Centration : créer un environnement propice à la concentration par le biais d’espaces calmes ou l’utilisation de casques antibruit, atténuer les stimuli distrayants, adopter une saine gestion de la technologie et apprivoiser la gestion du stress et des émotions
• Universalité : aménager un environnement propice à l’attention, ajuster les attentes, tenir compte des forces et des défis de chacun, adopter des pratiques inclusives de communication et d’enseignement (procédures claires, repères visuels) bénéfiques pour tout le personnel
• Sens : aligner les tâches sur ses valeurs pour renforcer la motivation et l’engagement

« Ces cinq éléments influencent non seulement l’attention, mais aussi la gestion de soi et la santé psychologique globale », souligne la Dre Vincent. Les employeurs peuvent aménager les postes de travail de façon à réduire les distractions et à optimiser les performances, ce qui a un effet positif sur l’ensemble du personnel. Ils peuvent aussi offrir des horaires flexibles, privilégier des processus bien définis et proposer un découpage clair des tâches. Ces adaptations profitent non seulement aux travailleuses et travailleurs vivant avec le TDAH, mais aussi à l’ensemble des équipes. « L’attention est un cadeau précieux à s’offrir et à partager; créer un environnement qui la favorise est bénéfique pour tout le monde », conclut la Dre Vincent.