L’IRSST dans l’espace !
Par Guy Sabourin
19 août 2025
Photo : quantic69/iStock
Les travaux de recherche accomplis dans les laboratoires de l’IRSST rayonnent jusque dans l’espace ! L’aventure, commencée en 1986, a en effet eu des répercussions jusqu’à la NASA. La célébrissime agence a utilisé un appareil imaginé, conçu, produit, perfectionné et testé à l’IRSST pour mesurer la résistance à la coupure des matériaux servant à fabriquer les gants des astronautes. Dans une recherche publiée en 2024, Establishing a Standardized Test Method for Evaluating the Cut Resistance of Space Suit Glove Fabrics, les chercheuses et chercheurs de la NASA mentionnent l’appareil ainsi que la méthode d’essai qui l’accompagne, en précisant qu’ils proviennent de l’IRSST.
Le physicochimiste chercheur de l’IRSST à la retraite Jaime Lara, premier jalon de cette invention, estime qu’il faut nommer les personnes en amont de sa reconnaissance internationale. À commencer par Hugues Nélisse, étudiant en physique, qui, lors d’un stage à l’IRSST en 1986, eut comme mission de fouiller la littérature scientifique à la recherche des méthodes d’essai en développement pour évaluer la résistance à la coupure des gants de protection, ce qui a permis de repérer les erreurs commises dans les travaux publiés empêchant la mise au point d’une méthode d’essai standardisée. Il est aujourd’hui chercheur permanent à l’IRSST.

Serge Massé et Jaime Lara
« Le fondement de cette recherche tient au nombre impressionnant de blessures aux membres supérieurs (30 % en 1986), majoritairement aux mains, soit coupures et piqûres » précise Jaime Lara, qui siège encore au comité ASTM F23, avec Chantal Gauvin, professionnelle de recherche à l’IRSST, notamment active dans les comités de normalisation ISO et ASTM, qui contribue depuis 2005 aux révisions des méthodes d’essai basées sur les travaux de l’IRSST des dernières années. Ce comité dédié aux vêtements et aux équipements de protection cherchait dans les années 1980 à élaborer une méthode fiable, en particulier contre les coupures.
À la même époque, durant son passage professionnel à l’IRSST, l’ingénieur Yves Thériault s’est saisi de la proposition « iconoclaste » de Jaime Lara d’utiliser le principe de la balance à deux plateaux (inspiré de l’alchimie) comme moyen d’appliquer une force normale, mesurable et constante, pendant toute la durée d’un essai. C’est lui qui a réalisé les plans d’ingénierie de ce qui allait devenir le premier prototype de laboratoire, commandé à un atelier mécanique. L’ingénieur Denis Turcot a assuré la relève pour la mise en œuvre du prototype. Ce premier modèle est bien sûr ensuite passé par toutes sortes d’essais et d’erreurs, a été diversement réajusté et s’est vu adjoindre des capteurs avant d’arriver à son stade final. « Il fallait contrôler la force, qui devait être constante, c’est ce qui était le plus important », se remémore Jaime Lara. C’est l’expertise du technicien en électronique de l’IRSST Bernard Caron, suivi de Jérôme Boutin, qui a permis de mesurer les forces qui s’exercent lorsqu’une lame coupante glisse sur un matériau et de démontrer que le concept « balance d’alchimiste » était valable. Le technicien Renaud Daigle fut chargé de réaliser les tests de laboratoire.
Cet appareil a permis de comprendre pour la première fois le phénomène de coupure des matériaux au moyen d’un objet tranchant, menant à la publication de plusieurs articles sur cette découverte et à sa présentation à des conférences et à divers comités de normalisation.
Au milieu des années 1990, intéressés par cette innovation, des chercheuses et chercheurs de la compagnie Dupont rendaient régulièrement visite à leurs homologues de l’IRSST pour constater les avancés de la recherche. Ils affirmaient alors que ce projet était devenu le plus important de l’entreprise depuis qu’elle avait créé la division Kevlar. Ils croyaient aussi que si cette méthode avait existé à l’époque de la fabrication du toit du stade olympique, tous les problèmes survenus par la suite ne se seraient pas produits.
Pour que la méthode mise au point devienne une norme, il fallait que d’autres laboratoires puissent disposer d’instruments construits selon le même principe, bien que plus robustes. C’est ainsi qu’en 1995, l’ingénieur de l’IRSST Serge Massé, assisté du technicien Christian Sirard, mit au point le TDM-100, un appareil qui figure désormais dans les normes ASTM, ISO, ANSI, EN. « Il faut souligner son génie », indique Jaime Lara.
Avec le professeur Toan Vu-Khan, Jaime Lara a ensuite codirigé jusqu’en 2002 la première thèse de doctorat consacrée au phénomène de la coupure. « Jusqu’à cette étude, le phénomène était encore largement méconnu d’un point de vue fondamental », précise Jaime Lara.
« Quand il a été enfin question de faire fabriquer un premier exemplaire de ce TDM-100 par une entreprise établie à Saint-Jean-sur-Richelieu (Les Produits Industriels RGI inc.), on nous a proposé d’en produire six, se rappelle Jaime Lara. L’IRSST nous a soutenus dans cette démarche, mais nous nous demandions quand même ce qu’on allait faire de ces appareils. C’est ainsi que nous avons décidé d’en prêter à divers organismes spécialisés dans le domaine du textile, comme l’ITF (Institut textile de France, Lyon) et le Groupe CTT de Saint-Hyacinthe (Centre de technologies textiles) pour qu’ils puissent tester ce nouvel instrument. Lors de réunions à l’international, nous présentions l’appareil et faisions des démonstrations techniques aux comités de normalisation ISO et ASTM. » Puis vint le moment où il fallut nommer l’instrument, dont le nom découle d’un remue-méninge et d’une consultation de l’Office de la langue française : tomodynamomètre, soit tomo pour coupure, dynamo pour force et mètre pour mesure.
D’autres méthodes d’essais ont été créées en parallèle aux États-Unis et en Europe, mais avec le temps et à l’usage, c’est le TDM-100 qui a remporté la faveur des experts. À ce jour, 230 exemplaires de l’appareil fabriqué au Québec ont été vendus dans 28 pays. « Il en existe maintenant des copies un peu partout, en Angleterre, en France, en Chine, en Allemagne… », précise Jaime Lara.
Ces dernières années, les essais sur différents matériaux ont littéralement explosé, donnant naissance à une panoplie de matériaux performants ayant des effets concrets sur la santé et sécurité au travail.
Jaime Lara aime bien paraphraser l’astronaute Neil Armstrong. « Ce projet a été un petit pas pour l’IRSST, mais un grand pas dans le développement des connaissances ayant permis la mise au point de nouveaux matériaux offrant une meilleure protection contre les blessures causées par des objets coupants. »
Selon lui, le TDM-100 offre un bel exemple de persévérance aux jeunes chercheuses et chercheurs.
Pour en savoir plus
Rapport de recherche scientifique :
La résistance des gants de protection à la coupure : Développement d’une méthode d’essai, Rapport IRSST (R-103), juin (1995).
Auteurs du rapport :
Jaime Lara, Denis Turcot, Renaud Daigle et Jérôme Boutin, Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST).
Article Scientifique :
Basic Principles Used in the Development of a New Cut-Test Machine for Standardization, Performance of Protective Clothing: Sixth Volume, ASTM STP 1273, Jeffrey O. Stull and Arthur D. Schwope, Eds., American Society for Testing and Materials, pp. 66-83 (1997).
Auteurs de l’article :
Serge Massé, Jaime Lara, Christian Sirard et Renaud Daigle, Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST)