Andréanne Degrâce : les risques psychosociaux au premier plan de la SST
Par Karolane Landry
21 octobre 2025
Photo : MC Photographie
Dans un monde du travail en constante évolution, la santé psychologique occupe une place centrale. Fondatrice d’EVERESST, une entreprise spécialisée dans l’accompagnement pour la prévention des risques psychosociaux en milieu de travail, Andréanne Degrâce se distingue par sa vision innovante. Elle aide les organisations à créer des environnements où bien-être et sécurité cohabitent harmonieusement. Dans cet entretien, elle revient sur son parcours professionnel et donne des conseils pratiques pour améliorer la santé et sécurité du travail (SST) en plaçant la santé psychologique au premier plan.
Mme Degrâce, d’où vient votre intérêt pour la SST?
Après avoir eu des blessures aux poignets, j’ai ressenti le besoin de me former en santé et sécurité du travail pour mieux comprendre ce domaine. Très vite, c’est devenu une passion. J’ai ensuite occupé des postes enrichissants, mais les responsabilités croissantes m’ont menée à un épuisement professionnel. À l’époque, c’était encore un sujet tabou, et mon retour au travail s’est fait dans un silence pesant. Je travaillais dans le milieu de la prévention. Mon rôle était justement d’éviter que ce genre d’événement se produise et se répète… et pourtant, j’ai vécu deux arrêts de travail pour des raisons similaires. Ça m’a fait réfléchir : il fallait que je contribue à changer les choses. C’est ainsi que j’ai commencé à m’intéresser à la gestion des risques psychosociaux et au stress au travail. Il faut savoir que les risques psychosociaux concernent la santé psychologique des travailleuses et travailleurs et englobent des réalités comme le harcèlement, la violence en milieu de travail, la violence conjugale ou familiale, la violence à caractère sexuel au travail et l’exposition à un événement potentiellement traumatique. L’intégration de ces risques à la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST), en 2022, a été un véritable tremplin pour moi. Ce changement m’a poussée à utiliser mes compétences en analyse de risques et en gestion pour me lancer dans ce domaine. J’ai suivi une formation de coaching de gestion ainsi que des formations complémentaires en prévention des risques psychosociaux et j’ai fondé mon entreprise : EVERESST.
À votre avis, pourquoi est-il essentiel de s’attarder aux risques psychosociaux au travail?
Parce qu’ils ont un véritable impact sociétal. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’estime nécessaire de mettre en place un système de gestion qui prend en charge les risques psychosociaux au même titre que les risques physiques. Je suis d’avis que cette démarche doit se faire à l’échelle collective, en partant de l’organisation. Souvent, les gens me disent : « Pourquoi m’occuper des risques psychosociaux, alors que j’ai des risques physiques plus critiques à gérer dans mon organisation? » Je leur réponds toujours qu’il faut d’abord faire une analyse des risques psychosociaux pour en déterminer le niveau de criticité. De plus, un risque social peut générer du stress chez un individu et, si ce stress persiste sur une longue période, il peut mener à un épuisement professionnel, à une dépression, à d’autres maladies… et même au suicide. D’ailleurs, certains pays d’Europe, comme la France, ont commencé à recenser ces événements. Malheureusement, au Canada, les données à ce sujet sont insuffisantes.
Comment analysez-vous les risques psychosociaux dans une organisation?
Personnellement, je crois qu’il faut d’abord vérifier l’engagement de la direction. Comprend-elle ce qui est attendu d’elle? S’implique-t-elle pleinement? Sans cet engagement, l’analyse des risques n’est qu’un document de plus qui prendra la poussière. Ensuite, je veille à ce que tout le monde ait une compréhension claire et partagée de ce qu’est un risque psychosocial. En effet, il est essentiel que chaque personne au sein de l’organisation le comprenne bien. Ma méthode repose sur une collaboration étroite avec les responsables des processus de l’entreprise, comme les RH ou les représentants en SST. Elle se déploie en quatre grandes étapes : la planification et l’identification des besoins, qui visent à établir un plan stratégique clair; la planification des interventions et la gestion du changement, pour instaurer un climat de confiance et préparer le terrain; l’analyse, qui est menée selon le plan d’action; et, enfin, la production d’un rapport accompagné de recommandations selon trois niveaux de priorité. Par exemple, on peut prioriser des éléments précis tels que des formations, des ajustements au climat organisationnel ou encore des améliorations des pratiques de gestion.
« La gestion des risques psychosociaux peut transformer le climat de travail en profondeur. »
ꟷ Andréanne Degrâce, fondatrice d’EVERESST
Selon vous, comment une politique de gestion des risques psychosociaux peut-elle transformer un milieu de travail?
Elle peut transformer le climat de travail en profondeur. La clé, selon moi, est de considérer la santé psychologique comme un pilier central de la stratégie organisationnelle pour créer un environnement de travail où la sécurité psychologique est une priorité pour tout le monde. La norme dont j’ai parlé précédemment est une obligation qui a été introduite au cours des dernières années en matière de participation, de collaboration et de consultation des travailleuses et travailleurs. Cela signifie que, dès le départ, il faut solliciter leur participation afin d’optimiser la gestion du changement et de répondre aux attentes des nouvelles générations qui arrivent sur le marché du travail. Elles veulent être impliquées, être des actrices dans la prise de décision, et non de simples spectatrices. Je crois donc qu’il faut maîtriser les risques et, en mettant ce système en place, on réduit les probabilités que les travailleuses et travailleurs soient confrontés à des situations de harcèlement, de violence au travail ou d’épuisement professionnel. Cela dit, une politique, bien qu’importante, reste un document. Pour qu’elle ait un effet, je suis d’avis qu’elle doit être accompagnée d’un engagement réel et visible de la part de la direction.
Quels conseils donneriez-vous aux gestionnaires en lien avec la SST?
Tout d’abord, il faut comprendre ce que sont réellement les risques psychosociaux. Trop souvent, ils sont mal définis ou sont confondus avec d’autres problématiques. Une formation adéquate est donc essentielle. Ensuite, il faut poser les bonnes questions : quelle stratégie doit-on adopter? Quels changements sont nécessaires pour analyser et gérer efficacement les risques? Les gestionnaires doivent également se remettre en question, car ils peuvent parfois être la source de ces risques. De plus, il peut être judicieux de faire appel à une aide externe impartiale et juste afin de brosser un portrait représentatif du climat de travail. Cela peut aussi aider à la gestion du changement, nécessaire à la mise en place des mesures correctives qui chamboulent souvent les habitudes organisationnelles.
Comment entrevoyez-vous l’avenir de la SST?
Il était grand temps que les risques psychosociaux soient pris en compte. Trop souvent, les entreprises réagissent au lieu de prévenir, ce qui donne lieu à des initiatives désordonnées et inefficaces. En ciblant les véritables risques propres à leur milieu, elles peuvent améliorer l’environnement de travail tout en réduisant les efforts nécessaires.