Colloque 2018 de l'IRSST
Enjeux et effets du visage changeant de la main-d’œuvre
Par Marjolaine Thibeault
19 mars 2019
Le visage de la main-d’oeuvre change et, avec lui , les enjeux et les effets sur la santé et la sécurité du travail (SST). C’est le sujet qu’ont abordé les conférenciers au colloque annuel de l’IRSST, en novembre dernier. Ils ont présenté leurs réflexions et les résultats de leurs travaux liés à l’évolution démographique, la SST des jeunes travailleurs et des plus âgés, la surdité, les travailleurs issus de l’immigration ainsi que la réadaptation et la formation en entreprise. Plus de 200 personnes, principalement des intervenants et des chercheurs en SST, ont assisté à ce colloque.
Évolution démographique de la main-d’oeuvre au Canada et au Québec
Laurent Martel, directeur de la division de la démographie, et Jean-Dominique Morency, analyste principal à la division de la démographie, Statistique Canada
Au moyen de l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011, qui inclut environ sept millions d’enregistrements, Statistique Canada a établi des projections démographiques de ce que pourrait être le portrait de la main-d’oeuvre en 2036 au Canada et dans ses régions.
De tous les pays membres du G7, c’est au Canada que la population augmente le plus depuis 20 ans, en raison de l’immigration. Selon les projections, la population active continuerait de croître au cours des prochaines années, mais son poids démographique dans l’ensemble du groupe des 15 ans et plus, aussi appelé le taux global d’activité, poursuivrait sa baisse.
La population active canadienne et québécoise continuerait, par ailleurs, de se diversifier, surtout dans les grandes régions urbaines du pays, principalement sous l’effet de l’immigration, si celle-ci se maintient aux niveaux récemment observés. En conséquence, les disparités régionales liées à la main-d’oeuvre pourraient s’accroître. Les défis à relever en termes de logements, d’infrastructures, de transports et de services publics pourraient donc devenir de plus en plus régionaux. Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux pourraient ainsi avoir plus de difficulté à mettre en oeuvre des politiques uniformes à l’échelle nationale.
L’intégration des jeunes au marché du travail : enjeux et défis pour la SST
Mircea Vultur, professeur titulaire, Centre urbanisation culture société, Institut national de la recherche scientifique
Les jeunes travailleurs québécois constituent une proportion moindre de la population comparativement aux années passées; les 15 à 29 ans en représentent aujourd’hui 18 %, par rapport à 28 % en 1971. Ils étudient plus longtemps, mais les postes qu’ils occupent ne correspondent pas toujours à leur niveau de scolarité.
Au cours des 20 dernières années, les indicateurs du marché du travail ont évolué positivement pour les jeunes. Ceux-ci sont plus présents sur le marché de l’emploi; ils chôment moins souvent et moins longtemps qu’avant. Cependant, en tant que nouveaux arrivants sur ce marché, ils demeurent défavorisés quant aux salaires et aux types d’emplois occupés.
Les chercheurs constatent une montée de l’individualisme chez les jeunes qui accordent beaucoup d’importance au caractère personnel de leurs décisions et cherchent à s’épanouir davantage au travail. Dans leur rapport à l’entreprise, ils sont passés d’une logique « contractuelle » (implication mutuelle à long terme du travailleur et de l’entreprise) à une logique « transactionnelle » (échange à court terme dans une perspective de service et de rentabilité). Ils ont un fort taux d’adhésion aux exigences du nouveau modèle productif fondé sur la responsabilité individuelle en matière d’employabilité, d’autonomie et de rémunération au rendement; certains piliers traditionnels du système de production, parmi lesquels la sécurité d’emploi, sont remis en question.
Intégration des jeunes en emploi et SST
Élise Ledoux, professeure, Département des sciences de l’activité physique, Université du Québec à Montréal, et responsable du champ de recherche, Prévention durable en SST et environnement de travail, IRSST
La chercheuse, qui a étudié les conditions d’intégration des nouveaux travailleurs dans les secteurs des mines, de l’aéronautique et de la transformation du bois et des pâtes et papiers, explique que l’apprentissage des postes d’entrée est plus complexe qu’il n’y paraît et qu’on n’y accorde pas suffisamment de temps. Les conditions de production sont le plus souvent les conditions d’apprentissage.
À leur arrivée, ils sont encadrés par une structure organisationnelle qui les forme et les accompagne. À partir du moment où ils intègrent une équipe, les nouveaux remplacent des travailleurs expérimentés, performants et efficaces. Ils ressentent donc de la pression pour produire selon les délais, en qualité et en quantité.
La prévention des lésions professionnelles chez les jeunes travailleurs implique d’agir sur les conditions d’emploi qui leur sont offertes ainsi que sur les conditions d’accueil, de formation et d’intégration au poste qui leur est attribué. Les conditions offertes aux travailleurs expérimentés et aux superviseurs pour accompagner les jeunes dans cette intégration devraient être arrimées à ces actions, croit la chercheuse.
La surdité professionnelle, une question d’âge?
Tony Leroux, professeur titulaire, École d’orthophonie et d’audiologie, vicedoyen des sciences de la santé, Université de Montréal
Le chercheur a rendu compte des résultats de travaux qu’il a menés autour des questions suivantes : La surdité professionnelle est-elle une question d’âge? L’exposition au bruit accélère-t-elle la perte auditive normale due à l’âge? Comment évolue le système auditif après l’arrêt d’une exposition à un bruit excessif?
Des expérimentations ont révélé que l’audiogramme qui sert habituellement à mesurer la perte auditive ne fournit pas de données adéquates pour prédire des effets précoces de l’exposition au bruit. Par ailleurs, la cessation de l’exposition au bruit n’arrête pas la progression de la perte auditive.
Les résultats de ces travaux révèlent en fait que la perte auditive « due au vieillissement » reflète partiellement l’exposition « sociale » au bruit, dont le travail fait partie. Le chercheur porte un regard préoccupé sur l’avenir et s’interroge sur les effets prévisibles des comportements et des habitudes d’écoute actuelles des jeunes sur leur audition future.
Maintien en santé des travailleurs vieillissants en emploi
Corinne Gaudart, directrice de recherche au CNRS – LISE et directrice du GIS CREAPT
La chercheuse a abordé les enjeux sociodémographiques des travailleurs vieillissants et décrit une approche ergonomique du travail qui leur permet de passer plus de temps en emploi en préservant leur santé.
Elle a brièvement exposé deux interventions ergonomiques réalisées chez des artisans pâtissiers et des compagnons de l’aéronautique.
Elle propose que la santé soit regardée selon deux angles : un angle de dégradation comportant des atteintes à l’intégrité du corps et un autre de construction où des possibilités de faire quelque chose de son expérience sont présentes. Le maintien en emploi est favorisé par un parcours de travail en santé et en compétence. Elle précise que la santé doit se jouer dans d’autres lieux que chez les responsables de la SST et qu’il faut décloisonner les fonctions de ressources humaines, de production et de santé au travail pour penser la prévention primaire.
Cas AIRBUS Toulouse : les conditions de mise en place des parcours formatifs en entreprise… à la recherche d’un équilibre entre novices, expérimentés et très expérimentés
Sophie Aubert, ergonome chez Airbus, région de Toulouse, France
La conférencière s’est intéressée aux conditions de mise en place de parcours professionnels pour prévenir les douleurs ostéo-articulaires quand la transformation des postes de travail atteint ses limites. L’acquisition des compétences pour passer d’un poste à un autre peut freiner à ce parcours.
Elle met en évidence des difficultés sur trois plans : individuellement, pour toute personne qui doit apprendre un nouveau poste, le temps de construire ses nouvelles compétences pour atteindre les objectifs de production et s’insérer dans la nouvelle équipe; sur le plan collectif qui se trouve perturbé et sursollicité par l’arrivée massive de novices et au niveau de la tenue des objectifs industriels.
Elle et son équipe ont mis au point un outil pour surveiller tout risque de déséquilibre dans la répartition des niveaux d’autonomie et pour maintenir une capacité de tutorat des personnes non autonomes. Pour accélérer l’obtention de l’autonomie, ils ont conçu des ateliers d’entraînement hors contexte de production, pour apprendre à produire « bon du premier coup, de façon sécure ». Ces formations animées par des opérateurs expérimentés, intègrent la gestion des aléas, mais aussi les axes de prévention. Par exemple, apprendre à détecter le bruit d’une perceuse défectueuse avec des protections auditives va rendre le port de cet EPI indissociable de l’activité, alors que si l’opérateur s’habitue à travailler sans les porter, son oreille et son cerveau n’auront pas appris à détecter le signal sonore et à l’interpréter. En changeant de paradigme « gestion de dispense de formations » versus « pilotage de l’apprentissage », la vitesse d’acquisition de l’autonomie a été multipliée par trois, levant ainsi les freins à la mobilité.
Les différences entre hommes et femmes quant à l’exposition professionnelle
France Labrèche, chercheuse, équipe Prévention des risques chimiques et biologiques, IRSST
La chercheuse a relaté les résultats d’une recherche sur les différences d’exposition aux contaminants chimiques et physiques entre les hommes et les femmes en tenant compte de 243 agents chimiques et physiques et de 59 codes de profession.
Les hommes et les femmes n’occupent généralement pas les mêmes emplois et dans un même emploi, il existe des différences dans les tâches qu’ils rapportent. La chercheuse précise que certaines différences d’exposition peuvent donc refléter les différences réelles dans les tâches effectuées, ou encore les différences dans la perception, le rappel ou la déclaration d’une tâche ou d’une exposition.
D’autres facteurs modulent la dose totale de contaminants auxquels les travailleurs sont exposés. Par exemple, l’absorption de ces contaminants est elle-même influencée par plusieurs facteurs anatomiques et physiologiques tout comme par la toxicocinétique qui diffère chez les hommes et les femmes.
Relations interculturelles dans un contexte de réadaptation au travail : mieux comprendre pour mieux intervenir
Daniel Côté, chercheur, équipe Prévention des problématiques de SST et réadaptation, IRSST
Introduisant les travaux qu’il a menés sur les relations interculturelles dans un contexte de réadaptation au travail, le chercheur a spécifié que le pays d’origine n’est pas la seule composante de la culture d’une personne. En anthropologie, il faut considérer près de 800 éléments, a-t-il précisé.
Le bilan des connaissances sur la notion d’appartenance ethnoculturelle dans la recherche et l’intervention en réadaptation qu’il a publié rapporte que la barrière linguistique figure parmi les déterminants majeurs de la réadaptation, tout comme la méconnaissance du cadre médico-administratif d’ailleurs.
Selon le chercheur, les trois principaux facteurs qui facilitent le retour au travail d’une personne issue de l’immigration seraient la compétence interculturelle de l’intervenant, la situation prélésionelle du travailleur immigrant et les écarts de représentations culturelles en réadaptation. Il réaffirme l’importance du développement des compétences interculturelles aux niveaux organisationnel, collectif et individuel.
Les spécificités liées aux expositions chez les femmes
Marc-André Verner, professeur adjoint, École de santé publique, Département de santé environnementale et santé au travail, Université de Montréal
Des recherches laissent croire que des spécificités propres à la physiologie des femmes doivent être considérées dans l’évaluation de l’exposition aux contaminants en milieu de travail. Notamment, les femmes peuvent porter et allaiter des enfants, puis, à la ménopause, des changements physiologiques peuvent influencer l’élimination des composés chimiques.
Le chercheur a expliqué que l’exposition des femmes peut entraîner celle des enfants, par transfert placentaire et par l’allaitement. Il a précisé que les expositions passées de la mère peuvent donc avoir un réel effet sur le foetus et sur l’enfant, qui peuvent être plus susceptibles aux atteintes toxiques. Des expositions en bas âge peuvent avoir des répercussions à long terme.
Par ailleurs, la ménopause peut influencer l’élimination de certains agents chimiques, un facteur dont il faut tenir compte. En effet, les concentrations sanguines d’une même dose journalière d’un composé que les menstruations peuvent éliminer risquent d’être plus élevées après la ménopause qu’avant.
Capsules statistiques
Quatre capsules vidéo statistiques ont également été présentées aux participants à ce colloque. Elles portaient sur la santé et la sécurité du travail :
- chez les jeunes travailleurs;
- chez les travailleurs vieillissants;
- selon le sexe;
- chez les travailleurs issus de l’immigration.