Déceler la présence de moisissures dans un milieu de travail
Par Guy Sabourin
23 avril 2024
Photo : iStock.com/Sinhyu
Les moisissures sont des organismes vivants susceptibles d’altérer la santé des personnes qui y sont exposées. Elles peuvent en effet entraîner différents effets sur la santé, tels que des problèmes respiratoires et même des maladies graves, selon les espèces en présence et le niveau d’exposition des personnes. Les atteintes peuvent être d’ordre immunologique, irritatif, infectieux et toxique.
Coûteuse et laborieuse, la méthode classique de détection des moisissures requiert que du personnel qualifié prélève minutieusement des échantillons et ait accès aux lieux contaminés pendant de longues durées. Les résultats sont longs à obtenir et parfois l’échantillonnage est impossible dans des lieux inaccessibles.
Une nouvelle méthode de détection permettrait toutefois de détecter la présence de moisissures, même bien dissimulées, comme le montrent les récents travaux du chercheur Sami Haddad, professeur titulaire et directeur du Département de santé environnementale et santé au travail de l’École de santé publique de l’Université de Montréal. Sa recherche s’intitule Développement de méthodes analytiques pour les COVM dans les matrices biologiques : vers l’évaluation des COVM comme biomarqueurs d’exposition aux moisissures.
Les moisissures signalent leur présence en libérant des composés organiques volatils microbiens (COVM) dans l’air. Or, les COVM sont facilement absorbés par inhalation. Ils peuvent ensuite être détectés dans les matrices biologiques (sang, urine, air exhalé) des travailleurs et travailleuses.
Cette recherche avait pour but d’établir des méthodes d’analyse des matrices biologiques fiables, de les valider et enfin, de mesurer les coefficients de partage sang-air, plasma-air et urine-air des 21 COVM sélectionnés parmi les 548 colligés dans la littérature.
Des moisissures dans beaucoup de milieux intérieurs
Les moisissures se logent et se développent sur une grande variété de substrats. À titre d’exemple, on en trouve dans les produits alimentaires, les matériaux de construction, les systèmes de chauffage et de climatisation ainsi que les échangeurs d’air. On en décèle aussi dans des milieux de travail, comme les usines de traitement des eaux usées, les sites de compostage, les bâtiments d’élevage animaliers, les aires de production laitière et les établissements scolaires. Même dans les bureaux, des systèmes de ventilation contaminés peuvent causer des pneumopathies d’hypersensibilité et des cas de syndrome toxique associé aux poussières organiques. Et ce ne sont-là que quelques exemples.
Une nouvelle approche prometteuse
La nouvelle méthode analytique validée découlant des travaux de Sami Haddad peut mesurer simultanément 21 COVM dans les matrices biologiques des travailleuses et travailleurs. Elle permet aussi de déterminer l’indice de contamination fongique selon la présence ou l’absence d’une série spécifique de COVM. Les mesures des coefficients de partage sang-air, plasma-air et urine-air de ces 21 COVM constituent des paramètres très informatifs sur la toxicocinétique et sur le choix de la matrice biologique la plus appropriée pour l’établissement de biomarqueurs.
« Il s’agit d’une nouvelle approche, complémentaire à la détection classique, explique Sami Haddad. Elle a démontré des performances remarquables. Elle peut même détecter des niveaux relativement faibles. Il s’agit d’une solution facile et d’exécution rapide permettant de contourner les inconvénients de l’évaluation classique de la flore fongique dans l’air ambiant. Les résultats d’analyses peuvent être obtenus en quelques heures. »
Un outil potentiel de plus pour déterminer la présence de moisissures en milieu de travail
Cette recherche s’inscrit dans une stratégie globale. Les 21 COVM retenus avaient été ciblés lors d’une étude antérieure pour déterminer leur potentiel de biosurveillance. Celle de Sami Haddad franchit une autre étape en démontrant la relation entre les niveaux de contamination fongique en milieu de travail, les niveaux atmosphériques de ces COVM et les niveaux biologiques correspondants. Ainsi, pour les travaux futurs, le choix initial des biomarqueurs et la matrice biologique la plus adéquate seront déjà définis.
La prochaine étape, pour laquelle des fonds ont été octroyés, concerne l’applicabilité de la méthode dans des conditions réelles. Sami Haddad entrevoit la possibilité d’une solution pour une personne qui soupçonne avoir des problèmes de santé découlant de la présence de moisissures sur son lieu de travail : elle pourrait fournir un échantillon sanguin, urinaire ou d’air exhalé avant et après son quart de travail. « Ce serait une manière d’aller chercher de l’information qui ne pourrait être obtenue autrement, par exemple dans une situation où il n’y a aucune possibilité d’échantillonner l’air », explique le chercheur. L’accumulation sanguine de certains de ces 21 composés volatils durant un quart de travail pourrait indiquer la présence de moisissures dans les lieux professionnels. Les niveaux mesurés seraient aussi un indicateur de l’ampleur de la contamination. La démarche pourrait aboutir à une inspection plus approfondie des lieux.
Pour en savoir plus
Chercheurs et chercheuses : Badr El Aroussi, Sarah Tabbal, Wissam Berkane et Michèle Bouchard, Université de Montréal, Geneviève Marchand, IRSST, Sami Haddad, Université de Montréal