Enrichir les données sur l’exposition des femmes aux risques chimiques en milieu de travail

Par Guy Sabourin

2 juillet 2024

Photo : iStock.com/ArtistGNDphotography

Les profils professionnels des femmes et des hommes diffèrent, tout comme leurs risques de maladies professionnelles. Or, les connaissances actuelles sur les probabilités d’exposition chimique au travail et les outils qui les compilent reposent sur des données essentiellement collectées parmi des hommes, bien que les femmes constituent 48 % de la population active du Québec. Le genre a pourtant une influence certaine, que ce soit en matière de probabilité, d’intensité ou de fréquence d’une exposition à certains produits en milieu de travail. « La prise en compte des différences de genre dans l’évaluation de l’exposition reste un défi dans la recherche sur la santé au travail en raison du manque d’outils qui tiennent compte de ces différences », soutient la chercheuse Vikki Ho, dans son étude intitulée Exposition professionnelle des femmes aux substances chimiques : amélioration d’une matrice emploi exposition existante pour fournir des estimations spécifiques au sexe. La Dre Ho est rattachée au Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CRCHUM), titulaire d’une Chaire de recherche en science du sexe et du genre sur l’exploration des différences liées au sexe dans l’étiologie du cancer des Instituts de recherche en santé du Canada et professeure agrégée au Département de médecine sociale et préventive de l’Université de Montréal.

Canjem spécifiques au sexe

Vikki Ho et son équipe se sont donné pour mandat d’inclure dans la matrice CANJEM (Canadian job exposure matrix) un outil créé au moyen d’études cas-témoins sur le cancer, des données plus précises concernant les expositions chimiques et physiques des femmes en milieu de travail.

La base de données CANJEM initiale a été tirée de 31 673 emplois qu’occupèrent 9 000 sujets de 1930 à 2000, dont seulement 26 % de femmes. Des experts ont alors attribué des expositions en fonction des tâches, des procédures, de l’environnement de travail et des mesures de contrôle de l’exposition. « On ne savait donc pas si les expositions subies par les hommes pouvaient être transposées aux femmes ayant les mêmes titres professionnels et si les outils qu’on utilisait pour les évaluer étaient applicables aux travailleuses », précise Vikki Ho.

Les données que la chercheuse a ajoutées à CANJEM proviennent de l’analyse d’experts de 4 326 emplois tirés des histoires professionnelles des femmes ayant participé à l’étude cas-témoins sur le cancer du sein à Montréal de 2008 à 2011. Des matrices CANJEM spécifiques aux femmes et aux hommes ont ensuite été constituées pour établir des comparaisons. « Pour certains métiers, si nous utilisons une matrice sans considérer les différences de sexe, nous pouvons surestimer ou sous-estimer certaines expositions, explique Vikki Ho. Par exemple, nous avons pu mettre en évidence que les ouvrières agricoles avaient des probabilités nettement plus élevées d’être exposées à six agents, tandis que les ouvriers agricoles l’étaient à deux agents. »

L’étude a aussi démontré que l’attribution des tâches et les conditions de travail peuvent différer même lorsque femmes et hommes exercent les mêmes professions. « Ces différences dans l’attribution des tâches peuvent se traduire par des expositions différentes aux produits chimiques toxiques, aux contraintes ergonomiques, aux risques d’accident et aux facteurs de stress psychosociaux, explique Vikki Ho, en plus des différences biologiques entre femmes et hommes, qui peuvent être un facteur causal sous-jacent dans l’étiologie des maladies. »

Les professions qu’occupent majoritairement des femmes étaient souvent exposées à des solvants organiques, des agents de nettoyage et des aldéhydes aliphatiques, alors que les professions d’une majorité d’hommes l’étaient à des hydrocarbures aromatiques polycycliques, à des solvants organiques et au monoxyde de carbone. Les CANJEM spécifiques au sexe ont aussi permis de constater que la prévalence des agents différait selon les sexes, avec peu de chevauchements entre les facteurs les plus prévalents. Le même titre d’emploi peut aussi comporter de grandes différences d’exposition. Par exemple, dans le groupe de « commis vendeur », les femmes étaient plus souvent exposées que les hommes à des composés organiques volatils, à des solvants organiques, à l’isopropanol et à des alcools aliphatiques.

Enrichie de ces données d’emplois occupés par des femmes, la matrice CANJEM a en outre permis de constater que celles-ci travaillaient plus souvent dans les secteurs du textile, des soins de santé et des services, où elles étaient exposées à des solvants organiques, à des agents de nettoyage et à l’ozone. Elles étaient globalement exposées à 196 agents, sur les 258 que comporte la matrice CANJEM.

« Nos résultats soulignent la nécessité d’utiliser des JEM spécifiques au sexe pour déterminer les expositions de certaines professions, explique Vikki Ho. De plus, ils illustrent le fait que les tâches diffèrent entre les femmes et les hommes qui exercent les mêmes professions et, par le fait même, les risques liés à l’exposition à certains produits. L’utilisation de JEM spécifiques au sexe permettra d’identifier les agents nocifs en milieu de travail de manière juste et d’améliorer les mesures de prévention au travail. »

Pour en savoir plus

Rapport : Exposition professionnelle des femmes aux substances chimiques : amélioration d’une matrice emploi exposition existante pour fournir des estimations spécifiques au sexe – Rapport abrégé (R-1190-fr)

Chercheuses et chercheurs : Vikki Ho, Carrefour de l’innovation, Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CRCHUM), Département de médecine sociale et préventive, Université de Montréal, Chelsea Almadin, Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CRCHUM), France Labrèche, Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST), Mark Goldberg, Department of Medicine, McGill University, Marie-Élise Parent, Centre Armand-Frappier Santé Biotechnologie, Institut national de la recherche scientifique, Jack Siemiatycki, Carrefour de l’innovation, Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CRCHUM), Département de médecine sociale et préventive, Jérôme Lavoué, Carrefour de l’innovation, Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CRCHUM), Département de santé environnementale et santé au travail, Université de Montréal

IRSST

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