L’entretien motivationnel pour favoriser le retour au travail après une période de réadaptation

Nombre de travailleurs et travailleuses trouvent difficile de retourner au travail en raison d’une incapacité, le plus souvent de type musculosquelettique. En persistant, cet état entraîne d’importantes répercussions, aussi bien pour ces personnes que pour leurs employeurs.

Il existe diverses approches reconnues efficaces pour favoriser le retour au travail, dont le plein potentiel peut toutefois poser un défi lié à la capacité du clinicien ou de la clinicienne à établir une relation soutenante avec la personne atteinte. Or, l’entretien motivationnel (EM), un outil jugé efficace pour favoriser ce soutien professionnel indispensable, est encore peu implanté dans la pratique, dont en réadaptation, souligne la chercheuse Marie-France Coutu, professeure titulaire, psychologue de la santé et titulaire de la Chaire de recherche en réadaptation au travail (Fondations Pratt & Whitney et J.A. Bombardier) de l’École de réadaptation de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke. Elle s’est donc donné l’objectif d’opérationnaliser l’approche de l’EM au contexte de la réadaptation au travail, tout en s’assurant d’inclure la contribution des cliniciennes et cliniciens ainsi que des travailleurs et travailleuses pour s’assurer de sa pertinence sur le terrain.

Aux fins de cette étude, après avoir consulté la littérature scientifique, la chercheuse a obtenu un consensus d’experts-cliniciens, à la fois en réadaptation au travail et en EM, pour élaborer un modèle d’EM plausible et applicable. Suivant la recommandation de ces spécialistes, elle a également monté une trousse de formation avec des vidéos illustrant l’approche, que les cliniciens et cliniciennes peuvent s’approprier en quatre heures en ligne.

Qu’est-ce que l’EM?

« L’entretien motivationnel est une manière de communiquer avec les gens, explique Marie-France Coutu. Il ne s’agit pas de convaincre la personne de quoi que ce soit, par exemple de sa capacité à retourner au travail, ce n’est pas du tout ce que l’approche préconise. Au contraire, l’entretien motivationnel vise à soutenir la personne en incapacité afin qu’elle identifie ses besoins, ses désirs, ses habiletés ou ses raisons personnelles en lien avec sa réadaptation. Dans certains cas, plutôt que de demander Êtes-vous prêt à retourner au travail?, on formule autrement : Qu’est-ce qui pourrait vous soutenir dans un éventuel retour au travail?, illustre la chercheuse. Ce sont des tournures de phrases qui font vraiment une différence. C’est ce que vise la formation, à mieux outiller les cliniciens et cliniciennes. Chaque personne porte la solution en elle. Il s’agit de la lui faire nommer pour soutenir sa propre motivation. Un participant ayant une incapacité au travail nous disait que cette approche aidait à ne pas sentir de pression. D’autres ont souligné que la pression amène la personne à se fermer et avoir moins confiance au clinicien. »

Ce qui réduit l’efficacité de l’EM est l’adoption de comportements non compatibles, comme l’affrontement, le style directif utilisant des questions fermées et le « réflexe de l’expert ». « Comme expert, sachant que l’on peut offrir une intervention reconnue efficace, il peut arriver que l’on tente de convaincre de son bénéfice. Cependant, bien que fait sur une base sincèrement bienveillante, vouloir offrir la meilleure intervention peut avoir l’effet inverse, soit créer une pression à adhérer. Essayer de convaincre constitue la technique la moins efficace pour un changement de comportement, explique la chercheuse. C’est entre autres pour cela que nous avons élaboré la formation, pour offrir des solutions concrètes et utilisables par les cliniciennes et cliniciens. »

Les modalités de l’étude

Un consensus d’experts-cliniciens en réadaptation au travail a été recherché pour obtenir un modèle suffisamment détaillé, lequel devait inclure les effets à atteindre, les activités à réaliser et les outils pour soutenir la réalisation des actions prévues dans le modèle. Par la suite, la trousse de formation l’a illustré au moyen de vidéos de cas types de travailleuses et travailleurs qui posent davantage de défis de communication aux praticiennes et praticiens. Au total, 19 cliniciennes et cliniciens en réadaptation (physiothérapeutes, ergothérapeutes, kinésiologues) ont testé la trousse. Une fois leur formation terminée, ils ont appliqué l’EM avec un « patient simulé » à différents moments clés de sa réadaptation. À la suite d’une analyse et d’une rétroaction d’un expert sur leur degré d’aptitude à appliquer l’EM, la majorité des cliniciennes et cliniciens ont exprimé une satisfaction générale envers la trousse, disant apprécier particulièrement les vidéos et les outils d’application.

Parallèlement, l’acceptabilité de l’EM a été évaluée auprès de 28 travailleuses et travailleurs, qui ont visionné des vidéos illustrant cette approche. Les participantes et participants en réadaptation ont dans l’ensemble perçu favorablement l’EM, soulignant l’approche sécurisante et la possibilité de se sentir mieux outillés et soutenus. Ils ont remarqué que cette approche favorisait l’émergence de leurs propres objectifs et décisions, tout en leur permettant de mieux accepter leur état. En conclusion, l’étude a réussi à établir un modèle opérationnel de l’EM pour la réadaptation au travail, que les cliniciennes et cliniciens jugent faisable et les travailleuses et travailleurs acceptable, offrant ainsi des perspectives d’implantation future et d’adaptation au système d’assurance.