L’exposition à deux pesticides n’interfère pas avec les marqueurs biologiques
Par Guy Sabourin
13 février 2024
Photo : iStock.com/Oleh_Slobodeniuk
Malgré les efforts pour réduire leur utilisation, les pesticides servent encore largement en agriculture au Québec, notamment les insecticides à base de pyréthrinoïdes. Pour interpréter correctement les données biologiques d’exposition des travailleuses et travailleurs agricoles à ces produits, il faut également bien connaître les répercussions de la coexposition, car il n’est pas rare qu’on en utilise plus d’un pesticide à la fois.
Il existe peu de données publiées sur le sujet. Michèle Bouchard, vice-doyenne à la recherche à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, professeure titulaire au Département de santé environnementale et santé au travail de cette institution, et son équipe ont analysé les interactions de deux pesticides largement utilisés conjointement en culture agricole : l’insecticide pyréthrinoïde lambda-cyhalothrine (LCT) et le fongicide captane, pour mener l’étude intitulée Évaluation de l’impact de la coexposition sur les biomarqueurs d’exposition aux pesticides pyréthrinoïdes chez les travailleurs agricoles.
Les pesticides produisent des métabolites que l’on peut suivre en analysant l’urine du personnel agricole à différents moments pour déterminer l’importance de l’exposition et ses pics. L’enjeu consistait ici à déterminer si la présence d’un autre pesticide, le captane, influence la lecture de l’exposition au LCT, car les deux produits passent par des voies métaboliques communes. L’étude a été réalisée avec la collaboration de personnes travaillant à la culture de fraises.
Trois volets pour bien saisir l’enjeu de la coexposition
Dans le premier volet de l’étude, 14 personnes chargées d’appliquer des produits dans les champs traités avec la LCT seule ou avec du captane ont fourni leurs urines pendant trois jours. « L’analyse comparative a montré qu’il n’y avait pas de différences évidentes dans les profils temporels individuels des concentrations de métabolites et dans l’excrétion cumulative après une exposition à la LCT seule ou combinée au captane », lit-on dans le rapport.
Dans le deuxième volet, 87 personnes affectées à différentes tâches, comme l’application de pesticides, le désherbage et la cueillette des fruits, ont fourni deux collectes urinaires de 24 h consécutives. Environ la moitié d’entre elles avaient été exposées à la LCT seule, l’autre moitié à la LCT et au captane. Les analyses ont révélé l’absence d’effet significatif de leur coexposition sur les taux urinaires des métabolites observés, mais une concentration urinaire plus élevée chez les individus ayant procédé à l’application que chez ceux ayant effectué le désherbage et la cueillette.
Le troisième et dernier volet consistait à utiliser un modèle toxicocinétique spécifique à la LCT pour simuler les données de biomarqueurs chez les personnes exposées à ce pesticide seul ou en coexposition. Les résultats ont aussi été comparés à la valeur de référence Acceptable Operator Exposure Level (AOEL)1 de la European Food Safety Authority2, qui indique les seuils à ne pas dépasser pour prévenir des effets néfastes à long terme chez quiconque y est exposé de façon répétée. Les scientifiques ont observé que les personnes chargées des applications aux concentrations les plus élevées risquent de dépasser l’AOEL à certains moments de la période du suivi biologique, au contraire de celles qui travaillent au désherbage et à la cueillette, moins à risque de le dépasser.
Améliorations potentielles en santé et sécurité du travail
Face à ces constats, il faudrait accorder une attention particulière aux tâches des opératrices et opérateurs, non seulement durant la pulvérisation, mais aussi lors d’activités subséquentes, comme la manipulation ou le nettoyage de l’équipement utilisé, ou encore le travail d’inspection dans les champs après traitement, pour minimiser leur risque de surexposition, explique le rapport de recherche.
« Avec cette étude, nous avons démontré que le fait d’être exposé à plus d’un pesticide n’a pas d’impact significatif par rapport à d’autres facteurs qui influencent les niveaux biologiques », explique Michèle Bouchard. La recherche a établi que les pics d’exposition se manifestent environ 24 à 30 heures plus tard. La chercheuse estime que le fait de retourner aux champs après la pulvérisation des produits, de manipuler du matériel ayant servi à l’arrosage et, surtout, de porter les mains à la bouche après que les doigts ont touché une surface contaminée constitue un facteur de risque plus important que la coexposition.
« Nous pensons que les pics sont vraiment reliés à un contact main-bouche, explique Michèle Bouchard. D’ailleurs, dans nos modélisations, on observe qu’ils sont souvent compatibles avec l’heure des repas. »
Puisque les produits pulvérisés restent actifs pendant un certain temps suivant la pulvérisation avant de se dégrader, il y a lieu de changer certains comportements. « Après la pulvérisation, le tracteur et les machines utilisées deviennent du matériel contaminé, le champ en entier constitue un espace contaminé, de même que les vêtements ou la peau qui entrent en contact avec le matériel ou le feuillage, souligne Michèle Bouchard. Il convient de devenir plus conscient des surfaces potentielles de contamination et de se protéger de ces impacts. »
2 Autorité européenne de sécurité des aliments
Pour en savoir plus
Chercheuse et chercheur :
Michèle Bouchard, Marc Bossou, Jonathan Côté
Département de santé environnementale et santé au travail, Université de Montréal