Milieux de travail et suicide : briser les tabous

Par Gabrielle Fallu

19 mars 2024

Photo : voronaman/Shutterstock.com

Lorsqu’un suicide survient, il arrive que la personne laisse derrière elle des collègues qui sont souvent peinés et désorientés par cette perte. Afin de faire la lumière sur ce phénomène plutôt tabou au sein des organisations, nous nous sommes entretenus avec Sylvie Boivin, directrice générale du Centre de prévention du suicide de Montréal (CPSM). Elle nous a parlé, entre autres, de l’impact d’un suicide sur le milieu de travail et de l’importance de la postvention, qui aide à diminuer les répercussions d’un tel événement sur les travailleuses et travailleurs.

D’entrée de jeu, Mme Boivin précise que lorsqu’une personne de notre milieu de travail commet un suicide, il importe de se rappeler que les raisons de ce geste sont souvent multifactorielles. « Certaines personnes ayant laissé des notes de suicide y nomment l’événement qui a fait déborder le vase, mais il s’agit souvent en fait d’une accumulation de plusieurs facteurs, précise-t-elle. Le travail en lui-même peut avoir joué un rôle dans l’état psychologique de la victime, mais on ne doit pas penser d’emblée qu’il s’agit de l’unique facteur. »

De lourdes conséquences

Selon Sylvie Boivin, il est indéniable que le suicide d’un collègue peut affecter plusieurs personnes. « Tout le monde est touché de près ou de loin par le suicide. C’est violent d’apprendre cela », souligne-t-elle. En effet, elle explique que dans un milieu de travail, un suicide a un grand impact au niveau structurel parce que les travailleuses et travailleurs ont souvent de la difficulté à comprendre le geste de la personne. « De là toute l’importance d’avoir un plan de postvention bien structuré afin que les gens de l’organisation puissent mieux composer avec cette nouvelle réalité », affirme Mme Boivin.

Évidemment, Mme Boivin mentionne l’importance, même en milieu de travail, d’avoir des discussions franches et ouvertes par rapport au suicide. En effet, même si l’on se dit qu’une personne qui semble en détresse n’ira jamais jusque-là, il faut toujours être à l’affût. « Quand une personne aborde des difficultés qu’elle rencontre et qu’elle tient des propos du type : “Vous seriez tellement mieux si je n’étais plus là”, il faut toujours la prendre au sérieux », insiste-t-elle. C’est de cette façon que le tabou associé au suicide n’en sera plus un.

Sauver des vies

Il en faut souvent peu pour avoir une réelle incidence dans la vie d’une personne ayant des idées suicidaires, selon Mme Boivin. En effet, bien qu’il soit préférable que des gens formés interviennent auprès de cette personne, tout le monde peut faire une différence. Les milieux de travail doivent identifier ces situations pour assurer la santé, la sécurité ainsi que l’intégrité physique et psychique des travailleuses et travailleurs. Par exemple, Sylvie Boivin explique que lorsque quelqu’un nous confie ses enjeux de santé psychologique, il faut l’accueillir et lui poser des questions directes, comme : « As-tu un plan pour la suite des choses? Penses-tu au suicide? ». Ensuite, plusieurs mesures de prévention peuvent être mises en place pour diminuer ce risque et assurer la santé et la sécurité des travailleuses et travailleurs. Par exemple, il importe de diriger la personne concernée vers une ressource compétente et, si l’on en est capable, de l’accompagner dans ses démarches. « Parfois, ça peut être d’aller simplement prendre un café avec la personne en détresse. Prendre le temps d’être avec elle, ça peut tout changer », affirme la directrice.

Le pouvoir de la postvention

Toutefois, quand un suicide se produit, des stratégies peuvent permettre d’accompagner les membres de l’organisation dans cette dure épreuve. « La postvention est une action qui est posée auprès des gestionnaires ou des membres d’une organisation pour qu’ils puissent mieux composer avec les contrecoups d’un décès par suicide dans le milieu de travail », explique Sylvie Boivin. En effet, elle affirme que la postvention aide à diminuer les répercussions d’un tel événement sur les travailleuses et travailleurs. « Si tous les milieux de travail avaient une procédure bien établie en cas de décès par suicide, dit-elle, ils seraient mieux outillés pour faire face à une telle situation. » En d’autres mots, Mme Boivin est d’avis que chaque organisation devrait avoir un plan de postvention clair en cas de décès par suicide et que celui-ci devrait avoir la même importance que les politiques en lien avec le harcèlement psychologique ou sexuel et la violence en milieu de travail.

Une procédure flexible

Selon Mme Boivin, chaque procédure doit être adaptée au milieu de travail et chaque travailleuse ou travailleur doit recevoir la même information lorsqu’un décès par suicide se produit. Elle affirme aussi qu’il importe de mettre en place une équipe formée dans le milieu de travail qui se chargera de répondre aux questions que les travailleuses et travailleurs pourraient se poser afin « d’absorber le choc ». Cette équipe peut aussi être chargée de déterminer de quelle façon on palliera le départ de la personne.

« Travailler en amont, c’est aussi une façon de prendre le taureau par les cornes pour être prêt au moment où une telle situation se produit, ajoute Mme Boivin. Quand on met en œuvre un processus de postvention, on doit penser à tous les effets que peut avoir cet événement malheureux dans une organisation et à ce qu’on doit faire pour en réduire les conséquences. »

Des ateliers et des formations

Le Centre de prévention du suicide de Montréal offre de nombreuses formations afin de mieux accompagner les milieux de travail sur le plan de la prévention et de la postvention. Par exemple, la formation Repérage aide les gestionnaires ainsi que les travailleuses et travailleurs à repérer les personnes pouvant avoir des idées suicidaires dans un milieu de travail afin de les aider. « On adapte ces formations aux besoins des milieux, explique Mme Boivin. On donne nos trucs et des conseils les plus adaptés au groupe. »

Le CPSM a également une équipe qui offre un service conseil afin d’accompagner les milieux de travail après un suicide. « On crée un réel espace sécuritaire pour les employés et les gestionnaires, en plus de leur donner un coffre à outils complet d’information sur la situation », note Sylvie Boivin. Le but des formations et du service conseil est de rendre la notion du suicide au travail concrète afin que les personnes touchées soient outillées face à cette problématique complexe.

Prendre le temps

Après le suicide d’une ou d’un collègue dans un milieu de travail, le retour à la normale est souvent la partie la plus difficile, car il s’accompagne d’une grande charge mentale. « Il faut prendre le temps de valider ses propres émotions et de ventiler, précise Mme Boivin. Il importe de préciser qu’on ne doit pas juger ses sentiments et que le ressentiment que certains peuvent éprouver est valide. Tout cela est nécessaire à l’acceptation du départ de la personne. »

En terminant, Mme Boivin insiste sur l’importance que chaque personne peut avoir quand on parle de suicide dans le milieu de travail. « Agissons en amont des situations difficiles. Soyons bienveillants et informons davantage les gens sur la question », conclut-elle.

Les conseils de Sylvie Boivin pour faire face au suicide d’une ou d’un collègue

  • Prendre le temps de valider ses émotions
  • Exprimer son ressenti, au besoin
  • Ne pas juger ses sentiments ni le ressentiment que peuvent éprouver certaines personnes

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