Nanoparticules, au féminin comme au masculin
Par MAXIME BILODEAU
8 août 2023
Photo : Istock
L’exposition aux nanoparticules peut occasionner des réponses inflammatoires nocives pour la santé, aussi bien chez l’homme que chez la femme.
Les nanotechnologies sont en plein essor, tout comme la nanotoxicologie, cette discipline qui s’intéresse à la toxicité des objets ou matériaux inférieurs à une taille de 100 nanomètres. Au Québec, on estime que des milliers de personnes sont en contact avec des nanoparticules dans le secteur industriel, mais également en recherche universitaire et publique ainsi qu’en médecine. De fait, plusieurs études rapportent d’ores et déjà des effets indésirables sur la santé découlant de l’exposition aux nanoparticules, dans un contexte de santé et sécurité du travail ou non.
En raison de leur petitesse, les nanoparticules peuvent facilement être inhalées, ce qui a le potentiel de générer de l’inflammation dans les poumons. La répétition de cette réponse biologique, par ailleurs tout à fait normale, peut s’avérer nocive ; l’inflammation chronique des voies respiratoires est associée à plusieurs maladies et désordres du système immunitaire, dont l’asthme. Des travaux récents indiquent d’autre part que les nanoparticules altèrent deux médiateurs importants des processus inflammatoires, les neutrophiles et les éosinophiles, chez l’animal.
On ignore toutefois comment la réponse inflammatoire que provoquent les nanoparticules diffère selon le sexe chez l’être humain. Cet angle mort de la recherche a des implications réelles en santé et sécurité du travail, certains types d’emplois étant encore majoritairement occupés par des hommes, d’autres par des femmes. « On fait rarement le cas des différences intersexuelles quant aux réponses immunitaires, qui sont pourtant bien réelles », souligne Denis Girard, professeur au Centre Armand-Frappier Santé Biotechnologie de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS).
Étude exploratoire
Avec son équipe, le directeur du laboratoire de recherche en inflammation et physiologie des granulocytes a donc entrepris de combler cette lacune de la littérature scientifique. « Notre démarche est très fondamentale. Elle a pour objectif de générer des hypothèses en vue de futurs travaux sur les nanoparticules », commente le coauteur du rapport intitulé Étude visant à mieux guider l’évaluation des risques des travailleurs exposés aux nanoparticules (NP) : existe-t-il différentes propriétés inflammatoires des NP liées au sexe?, publié sur le site Web de l’IRSST.
L’équipe scientifique a d’abord recruté des donneurs et donneuses en bonne santé en puisant dans une banque de près de 300 volontaires pour récolter des échantillons sanguins. Puis, elle a isolé les neutrophiles et les éosinophiles de leurs cellules sanguines pour ensuite les soumettre en laboratoire à une douzaine de nanoparticules qu’on trouve dans les milieux de travail du Québec, comme le tétroxyde de trifer (Fe3O4) et l’oxyde de zinc (ZnO). Le but était d’évaluer les capacités modulatoires de six fonctions distinctes, toutes reliées au processus inflammatoire.
Au final, il ne semble pas y avoir de différences majeures entre les hommes et les femmes quant à l’apoptose, la production de dérivés réactifs de l’oxygène, la phagocytose, la production de certaines cytokines et l’adhérence, ni quant à la migration par les neutrophiles et les éosinophiles. « De manière générale, lorsque des effets modulatoires sont observés, les nanoparticules agissent davantage sur les cellules obtenues d’échantillons sanguins féminins. Cela concorde avec la théorie ; les femmes tendent à avoir une réponse immunitaire plus forte que celle des hommes », analyse Denis Girard.
Prévenir avant tout
Malgré ses limites – l’équipe de recherche n’a par exemple pas tenu compte du cycle menstruel des participantes –, cette étude fait avancer les connaissances sur les effets des nanoparticules sur la santé. « Le recours à des cellules d’origine humaine plutôt qu’animale constitue en soi une réelle avancée, souligne le chercheur. Les fabricants qui utilisent des nanotechnologies pourraient par ailleurs prendre en compte cette réalité biologique [les différences hommes-femmes] dans le développement de leurs produits. »
Il reste cependant beaucoup de chemin à parcourir pour assurer l’utilisation réellement plus sécuritaire des nanoparticules dans les milieux de travail. « Les cas de toxicité chez l’humain attribuables aux nanoparticules de synthèse sont encore très peu documentés dans la littérature. En regard de l’engouement actuel pour les nanotechnologies, il y a cependant lieu d’être vigilant et de documenter le sujet », conclut Denis Girard, qui a bénéficié de subventions de l’IRSST pour réaliser cette recherche.
Pour en savoir plus
Rapport : irsst.info/r-1173