Porter ou pas une ceinture lombaire ? : Des chercheurs s’intéressent aux effets psychologiques et biomécaniques
Par IRSST
30 avril 2018
Les douleurs au dos se classent au premier rang mondial des causes d’incapacité. On sait par ailleurs que le temps exerce une influence fondamentale dans le développement de la douleur persistante et de l’incapacité au travail. Au cours de la transition entre les phases aiguë et chronique de la lombalgie, les aspects psychosociaux prennent de plus en plus d’importance.
Une récente revue de la littérature confirme à nouveau que le retour au travail est bon pour le rétablissement, alors qu’une période prolongée sans emploi a l’effet opposé. Une exposition graduelle au travail permettrait d’éviter de nuire à des dimensions psychologiques et sociales du travailleur, comme l’estime de soi et le sens identitaire, et de maintenir ou de retrouver les capacités physiques nécessaires à la réappropriation rapide de son rôle dans l’entreprise. Or, certains travailleurs, intervenants de la santé et employeurs craignent un retour au travail trop hâtif à cause de leurs propres peurs associées à la douleur ou aux mouvements. Il est pourtant aujourd’hui reconnu que les travailleurs à qui l’on recommande de demeurer actifs, tant que la douleur le permet, ont un risque de rechute moins élevé que ceux qui se voient prescrire du repos jusqu’à la disparition des symptômes.

Comment sortir de l’impasse ?
Biomécanicien et chercheur à l’IRSST, Christian Larivière s’intéresse depuis longtemps à ce sujet. « Mon programme de recherche est composé de deux axes qui s’articulent autour d’une même question : Comment mieux stabiliser la colonne lombaire ? D’abord, le premier axe consiste à étudier une modalité active de traitement, soit un programme d’exercices de stabilisation lombaire. L’autre axe de recherche porte sur l’emploi de la ceinture lombaire, une modalité passive de traitement.
« Il est certain que l’on préfère que les travailleurs apprennent à utiliser leurs muscles en faisant des exercices de stabilisation lombaire, poursuit-il. La ceinture est une modalité qu’on propose d’utiliser au besoin, ponctuellement, pour réintégrer au travail des gens qui n’ont pas terminé leur programme d’exercices, par exemple. Cela ne s’applique pas aux troubles chroniques toutefois, mais certainement aux épisodes plus aigus. L’idée du port de la ceinture lombaire, sur le plan psychologique, c’est de rassurer les travailleurs à qui l’on demande de retourner au travail un peu plus tôt que ce à quoi ils s’attendaient. La ceinture leur donnerait de l’assurance et répondrait à une condition nécessaire lors de cette transition, soit d’offrir une plus grande sécurité sur le plan biomécanique. Notre étude visait à apporter les premières évidences permettant de supporter cette idée. »
Une étude préparatoire
En fait, la démonstration finale devra se faire dans le contexte d’un essai clinique randomisé (ECR), précise Christian Larivière, qui comparera un groupe témoin à un groupe expérimental. « La présente étude avait pour but de s’y préparer, car un ECR coûte très cher, et son coût augmente avec le nombre d’éléments à prendre en compte. Premièrement, quelle ceinture choisir ? Deuxièmement, pour quels types de patients ce type de traitement aurait une plus grande efficacité ? Quand on regarde les effets de tout type de traitement sur les maux de dos, on se rend compte qu’ils sont modestes, en général.
Parmi les sujets donc, certains ne répondent pas du tout au traitement, mais d’autres y répondent très bien. Notre objectif ultime serait donc de réussir à déterminer quel type de patient bénéficierait le plus du port d’une ceinture lombaire. Et troisièmement, une fois établi qu’un sous-groupe de patients répond bien à ce traitement, on veut savoir pourquoi. C’est là qu’entrent en jeu les mesures neuromécaniques. Notre étude nous a donné une bonne idée des mesures les plus sensibles aux effets qu’on veut observer. Cela nous aide à faire un tri pour l’ECR. »

Psychologie et biomécanique
Avec ce que l’on sait des éléments gagnants du retour et du maintien en emploi, on ne peut ignorer le rôle des facteurs psychosociaux. Alessia Negrini, chercheuse en santé psychologique à l’IRSST, est une spécialiste en cette matière. « À notre connaissance, il s’agit d’une des rares études réalisées au Québec, en multidisciplinarité, qui intègre un volet psychologique aux aspects biomécaniques de la réadaptation au travail.
« Est-ce que les travailleurs sont favorables ou pas au port d’une ceinture ? Est-ce que je vais être capable de faire certains mouvements au travail, mais aussi dans la vie quotidienne ? Quand quelqu’un a peur de faire un mouvement, est-ce juste au travail ou dans le quotidien ? Le projet considère la personne dans sa globalité, aidant à comprendre ce qui se passe au travail. Nous avons donc adapté et utilisé des questionnaires nous permettant de mesurer ces éléments dans l’éventuel ECR. »
Autre nouveauté dans ce genre d’étude, on a évalué la stigmatisation sociale anticipée. « Qu’est-ce que les autres en pensent, que je porte ma ceinture ou pas ?, explique Alessia Negrini. L’opinion des autres peut influencer notre comportement. Le supérieur immédiat, les collègues, les clients, la famille, les amis, les thérapeutes, m’encouragent ou trouvent ça ridicule ? Cela évalue un aspect qui a le potentiel de déterminer le niveau d’adhésion au port de la ceinture, selon le jugement des autres. »
À cet égard, la chercheuse relève un résultat particulièrement significatif de l’étude : en général, les gens qui sentaient que la ceinture lombaire pourrait les soutenir dans l’exécution de tâches spécifiques sentaient aussi que leurs collègues appuieraient son utilisation. De plus, « les gens ont trouvé la ceinture pratique et facile à utiliser. Ils ont confiance qu’elle les aide à accomplir des tâches au travail et dans la vie quotidienne ». Tous ces indicateurs pointent donc dans la même direction, ce qui soutient l’utilisation d’une ceinture au même titre que les résultats biomécaniques.
Réactions face à la douleur
Michael Sullivan, professeur et chercheur au Département de psychologie de l’Université McGill, spécialiste entre autres des aspects de la peur et de la dramatisation de la douleur, a participé au volet psychologique de l’étude. Il existe une théorie voulant que lorsqu’une personne a peur de la douleur, poursuit Alessia Negrini, « il est fort probable qu’elle ressentira un niveau plus élevé de douleur, se sentira moins efficace et conséquemment, limitera ses mouvements et le retour à ses activités de travail. Et il y a la peur de se blesser encore. » Cela nuit au rétablissement et mène progressivement à la chronicité et l’incapacité prolongée, avec la possibilité qu’apparaissent des symptômes de détresse psychologique et de dépression.
Une fois terminé l’accomplissement de certaines tâches plus difficiles de l’évaluation neuromécanique, les sujets de l’étude étaient invités à répondre aussitôt à des questions sur la peur et la dramatisation de la douleur, en ayant encore en tête l’expérience effectuée avec ou sans la ceinture. « Nous avons pu démontrer que le port d’une ceinture diminue immédiatement la douleur et semble également rassurer les travailleurs sur leur peur de réaliser certaines activités. Constat intéressant, certaines réactions face à la douleur changeaient lorsque les sujets faisaient les tâches plus exigeantes, comme la flexion complète avant et la manutention de charges », rapporte la chercheuse.

Un outil de plus pour favoriser le retour et le maintien au travail
Comme Christian Larivière, Alessia Negrini croit qu’il faut poursuivre la recherche en essayant de voir si des sensations, des perceptions et des différences spécifiques se manifestent dans les divers groupes de personnes lombalgiques, selon certains signes observés lors de l’examen clinique et peut-être selon le sexe ou l’âge, entre autres. On pourrait ainsi déterminer s’il faut prescrire une ceinture à tous ou plutôt à certains travailleurs ayant un profil clinique donné, provenant de certains secteurs d’activité ou exposés à des types de tâches particulières.
« De plus en plus, croit Alessia Negrini, les recherches devraient considérer les différents acteurs du retour au travail. Dans mon domaine, nous estimons que le succès de ce retour peut commencer même avant l’absence. Lorsqu’il y a, par exemple, une bonne communication et du soutien de la part du supérieur immédiat, ces facteurs peuvent aider à un retour sain et durable, tout en contribuant à la prévention d’une éventuelle rechute. Donc, une ceinture lombaire pourrait être un outil de plus à intégrer à d’autres mesures à considérer dans tout le processus facilitant le retour au travail. »
Du jamais vu en biomécanique
Christian Larivière n’est pas peu fier de ses réalisations en biomécanique : « Au laboratoire, situé à l’Institut de réadaptation Gingras-Lyndsay de Montréal, nous avons implanté plusieurs types d’évaluations neuromécaniques avec un appareillage à la fine pointe. Certains montages sur mesure n’existent nulle part ailleurs, ou presque. Nous sommes très bien équipés, par rapport à ce qui se fait dans le monde, pour ce type de recherche. Une étude neuromécanique aussi complète, ça n’avait jamais été fait pour évaluer les effets d’une ceinture lombaire et certaines évaluations constituent des premières. » Les résultats préliminaires, même s’ils doivent faire l’objet d’autres validations, sont prometteurs.
Faits saillants
Les DEUX ceintures souples évaluées, une extensible et l’autre non, offrent des résultats similaires :
- Diminution de la douleur en position debout
- Diminution de la peur et de la dramatisation de la douleur dans différentes tâches jugées menaçantes pour la région lombaire
- Hausse de la rigidité lombaire
- Diminution de la flexion lombaire maximale
- Réduction de l’activation des muscles du tronc
- Jugées utiles, pratiques et faciles d’emploi par les sujets
Intégration INÉDITE des facteurs psychologiques dans une étude MULTIDISCIPLINAIRE :
- Perceptions et ressentis des sujets immédiatement après les tâches
- Vision globale de la personne, dans son quotidien comme au travail
- Perception du soutien et du jugement de l’entourage
- Évaluation de la peur de la douleur et du mouvement, et de la dramatisation de la douleur, en fonction des tâches effectuées et du port, ou non, de la ceinture
SEPT mesures biomécaniques et neuromécaniques NOVATRICES ont été réalisées en laboratoire, dont QUATRE ont montré des résultats plus significatifs : mesure de la rigidité lombaire, flexion maximale du tronc, manutention de caisses et maintien de la posture assise sur chaise instable.
VINGT sujets sains et QUARANTE sujets lombalgiques ont participé à l’étude.
Les effets de la ceinture lombaire
« Il y a trois mécanismes à la base des blessures ou de l’exacerbation de la douleur dans lesquels nous pensons que la ceinture lombaire puisse agir positivement, selon Christian Larivière et Richard Preuss, de l’Université McGill, également coauteur de cette recherche. Premièrement, il y a l’instabilité lombaire et articulaire, qui fait qu’une vertèbre bouge par rapport à une autre de façon suffisamment importante pour causer une blessure à un ligament ou à d’autres structures de la colonne vertébrale lombaire. L’étude a démontré une hausse de la rigidité lombaire chez les sujets qui portaient une ceinture, ce qui s’apparente à une meilleure stabilité lombaire. Le deuxième mécanisme possible, c’est quand une personne exécute des travaux, penchée vers l’avant de façon très fréquente ou soutenue, comme le font les couvreurs ou les jardiniers. Cela peut causer de petits bris des ligaments postérieurs de la colonne vertébrale, parce qu’ils sont très étirés dans ce type de tâche. Or, l’étude a démontré que la ceinture lombaire permet de réduire l’amplitude du mouvement du dos. Nous pensons donc qu’elle peut aider les travailleurs à protéger ces structures. Le troisième mécanisme concerne les travailleurs dont la douleur est exacerbée seulement par le maintien d’une posture debout ou assise de façon prolongée. Il apparaît que cela se produirait plus rapidement chez ceux qui activent davantage les muscles entourant la région lombaire pour la protéger de la douleur et de nouvelles blessures. Cette activation crée une compression sur la colonne vertébrale. Quand on soutient cette position à long terme, les disques intervertébraux et autres structures, comme les facettes articulaires, sont compressés et cela peut créer de la douleur chez les gens ayant des lésions qui ne réagissent pas bien à ce type de chargement de la colonne lombaire. Nous avons montré dans l’étude que la ceinture lombaire permet de diminuer cette activation musculaire. »
« On pourrait penser que la ceinture lombaire convient seulement aux gens qui se penchent souvent ou qui doivent faire des tâches très lourdes, mais ce n’est pas du tout le cas. Elle peut s’avérer tout aussi bénéfique pour des personnes qui réalisent des tâches manuelles légères, de bureau ou à l’ordinateur », explique Christian Larivière.
Prochaine étape
L’étude clinique randomisée à venir est un projet d’envergure et il faudra probablement encore deux à trois ans avant même de la lancer. L’aspect psychologique en fera encore partie intégrante, selon les mêmes paramètres. Les chercheurs voudront notamment évaluer l’adhésion au traitement, qui constitue toujours un problème quand vient le temps de mettre des recommandations en pratique. D’ici là, ils sont tout de même d’avis qu’on peut utiliser la ceinture lombaire comme mesure de soutien ponctuelle au cours d’une réintégration graduelle au travail, puisque tout indique déjà qu’elle soulage et rassure le travailleur qui la porte, tout en protégeant son dos.
Pour en savoir plus
LARIVIÈRE, Christian, Michael SULLIVAN, Richard PREUSS, Alessia NEGRINI. Effets psychologiques et biomécaniques immédiats de deux catégories de ceintures lombaires chez des travailleurs en santé et des travailleurs avec maux de dos, R-997, 119 pages.