Prévenir les effets du travail émotionnellement exigeant grâce à une démarche paritaire
Par Maude Dionne
5 avril 2019
Au Québec, le travail émotionnellement exigeant (TÉE) touche un grand nombre de travailleurs du secteur public. Parmi eux, les employés des centres jeunesse (CJ) qui côtoient une clientèle qui pose de grands défis, souvent accompagnés d’une forte charge de travail et d’un manque de ressources pour les soutenir. Le stress post-traumatique, les troubles musculosquelettiques, la détresse psychologique, l’absentéisme, la perte de productivité et le roulement de personnel sont quelques conséquences connues de ces conditions de travail exigeantes. Préoccupé par cette problématique, le CJ de Chaudière-Appalaches a décidé d’entreprendre une démarche préventive paritaire, en partenariat avec une équipe de recherche. Les différents acteurs du centre jeunesse ont amorcé une initiative basée sur une méthode d’intervention éprouvée. Le comité consultatif formé pour accompagner l’ensemble du processus a facilité la mise en place de la démarche.
La démarche d’intervention
Les conditions du succès de l’intervention ont été consolidées durant la phase de développement. « Une étape cruciale est de s’entendre sur l’existence même du problème puis de s’assurer d’obtenir l’engagement de toutes les parties, notamment celui de la haute direction », soutient Nathalie Jauvin, chercheuse principale. L’implication et la participation de tous les corps d’emploi étaient essentielles, tout comme leur adhésion à une visée préventive. La disponibilité des membres et le financement de la démarche préventive comptaient aussi au nombre des facteurs du succès. La chercheuse souligne l’importance d’avoir « une préparation adéquate et la formation nécessaire » pour entreprendre une telle démarche. « Il faut prendre le temps pour bien faire les choses », conseille-t-elle.
Pour identifier les besoins et prioriser les pistes d’action, un groupe de soutien à l’intervention (GSI) paritaire a été formé. Ce comité disposait des résultats du diagnostic que l’équipe de recherche avait préalablement posé en ayant recours à des entrevues qualitatives et à des questionnaires. Grâce à ce diagnostic et en s’appuyant sur les outils conçus par les chercheurs, il a entrepris de développer et d’implanter les interventions priorisées, touchant plus spécifiquement des cibles déterminées, soit la charge de travail, la latitude décisionnelle, la reconnaissance et le soutien social.
Considérant le contexte et les ressources disponibles, le GSI a travaillé plus particulièrement au développement de cinq initiatives :
- L’aménagement d’un local pour le personnel qui intervient auprès des jeunes;
- La création d’une conférence de sensibilisation sur la réalité du travail en centre jeunesse;
- L’ajout d’une ressource spécialisée au programme d’aide aux employés;
- La création d’un programme de « pairs-aidants »;
- Le réaménagement des horaires de travail des éducateurs.
Les changements que le groupe a proposés ont touché les cibles visées. Toutefois, ce sont des réalisations liées à l’amélioration des mesures de soutien social qui ont été les plus nombreuses à voir le jour. Cela s’explique d’une part par le fait que les intervenants ont la conviction qu’en renforçant le soutien social, un important facteur de protection, il sera plus facile de faire face à la lourdeur du travail. Mais aussi, d’autre part, parce que ces mesures de soutien qui interpellent les travailleurs eux-mêmes sont plus accessibles que celles qui exigent une modification du travail comme tel, surtout dans un contexte de grande transformation. Puisqu’il est très difficile d’agir directement sur les conditions d’exercice du travail, la chercheuse affirme « qu’on doit agir sur les ressources, comme le soutien social, pour avoir un effet sur le TÉE ».
Les contraintes
La réforme du réseau de la santé et des services sociaux de 2015 est venue ébranler la phase d’implantation de la démarche. Le fort engagement de tous les partenaires a cependant permis de maintenir le cap, malgré ces obstacles, et d’atteindre les objectifs initialement fixés. Une collecte de données a permis d’évaluer les changements organisationnels et contextuels, les facteurs qui facilitent ou entravent le développement des interventions, ainsi que la prise en charge par le milieu. Elles ont été collectées par une observation participante, un journal de bord tenu par la coordonnatrice de recherche et des entrevues individuelles avec des acteurs clés. Un outil de communication publié par l’équipe de recherche a facilité la diffusion des activités du GSI aux employés du CJ.
Bien que l’évaluation se terminera en 2020, les données déjà disponibles montrent des retombées positives. Les employés et les gestionnaires interrogés estiment globalement favorables l’amélioration de l’accès aux ressources de soutien et l’influence attendue sur la réduction des effets d’un travail émotionnellement exigeant. Le partenariat avec le milieu et la mise en place d’une plateforme commune pour comprendre et définir les solutions ont provoqué un mouvement de soutien dans l’organisation : « Le fait d’en parler a été perçu de façon positive par les gens, leur faisant voir une perspective d’amélioration », explique la chercheuse.
Une inspiration pour d’autres milieux
Les centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD), les centres hospitaliers, les services d’urgence et les secteurs d’intervention visant les déficiences intellectuelles et physiques, entre autres, pourront bénéficier de ces connaissances et s’inspirer des interventions développées. La chercheuse croit que les leçons apprises s’appliquent à tous les milieux où les employés exercent un travail relationnel. Néanmoins, « chaque milieu devrait poser son propre diagnostic, identifier ses priorités et développer des pistes d’intervention qui lui sont propres », souligne-t-elle. Pour se lancer dans un tel processus, l’organisation doit être ouverte au leadership partagé, à la collaboration, à l’innovation, à l’adaptation et à la souplesse.
Pour en savoir plus
JAUVIN, Nathalie, Andrew FREEMAN, Nancy CÔTÉ, Caroline BIRON, Audrey DUCHESNE et Émilie ALLAIRE. Une démarche paritaire de prévention pour contrer les effets du travail émotionnellement exigeant dans les centres jeunesse, R-1042, 105 pages.