Prévention des troubles musculosquelettiques en contexte saisonnier : un défi pour les milieux de travail
Par Guy Sabourin
20 mai 2025
Photo : iStock.com/PierreDesrosiers
Les troubles musculosquelettiques (TMS), au dos, aux genoux et aux membres supérieurs surtout, restent bien présents chez les travailleurs et travailleuses saisonniers. Cela s’explique par des conditions de travail parfois difficiles, que dictent de fortes contraintes d’organisation du travail et de temps. Les initiatives de prévention demeurent à ce jour peu nombreuses, scientifiquement peu documentées et, souvent, ne tiennent pas compte, ou très peu, des caractéristiques du contexte saisonnier. Les travailleuses et travailleurs concernés, pourtant nombreux, se trouvent au cœur de l’économie de plusieurs régions rurales du Québec.
Interpellée par ce contexte particulier, Marie-Eve Major, professeure titulaire au Département des relations industrielles de l’Université Laval et membre chercheuse du Réseau Communautés rurales et éloignées en santé (CARES) et de l’Équipe de recherche interdisciplinaire sur le travail Santé-Genre-Égalité (SAGE) et son équipe ont documenté ce qui peut favoriser ou nuire à l’implantation d’une intervention ergonomique visant à prévenir les TMS découlant des activités professionnelles saisonnières. L’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) a financé leur recherche, intitulée Facteurs facilitants et défis liés à l’implantation d’une intervention visant la prévention des troubles musculosquelettiques en contexte de travail saisonnier : une étude dans le secteur de la transformation alimentaire.
Les principaux acteurs des milieux de travail ont parlé
Les données ont été recueillies au moyen de deux séries d’entrevues individuelles semi-dirigées avec des travailleuses et travailleurs, directrices et directeurs d’usine et des ressources humaines, coordonnatrices et coordonnateurs en SST, préventionnistes, ergonomes ainsi que des représentants syndicaux de trois entreprises de transformation alimentaire (légumes, viandes, produits de la mer). S’ajoutent à cela l’analyse de documents pertinents et des observations dans les entreprises, qui devaient fonctionner sur une base saisonnière ou assurer une production à variation saisonnière, embaucher des travailleuses et travailleurs saisonniers et se trouver en régions rurales et éloignées. « Il s’avère difficile de développer un dispositif d’intervention visant la prévention des TMS en contexte saisonnier sans préalablement avoir une connaissance des facteurs qui pourraient faciliter ou faire obstacle à son implantation dans les milieux de travail. La compréhension des principes d’action en termes de prévention des TMS, qui sont pertinents et efficaces compte tenu de ce contexte demeure parcellaire, voire inconnue, ce qui rend très difficile d’éclairer l’implantation d’interventions appropriées », écrit la chercheuse.
Au total, 112 facteurs facilitants ont été identifiés, 106 facteurs qualifiés d’obstacles et 86 facteurs estimés neutres (« on ne peut dire ou trancher si c’est un levier ou un obstacle »), puis condensés dans une typologie de 22 catégories. À titre d’exemple, ces catégories touchent la situation économique de l’entreprise, les conditions environnementales et climatiques, la formation, les connaissances et les représentations sur les TMS et les moyens de les prévenir, les pratiques managériales, la gestion de la SST et les communications dans l’entreprise.
« Ces résultats permettent de mieux comprendre des particularités et des réalités importantes du contexte saisonnier avec lesquelles les milieux de travail et les intervenantes et intervenants du secteur de la transformation alimentaire doivent composer », indique Marie-Eve Major. Par exemple, on peut citer l’imprévisibilité de la ressource naturelle et du climat, la grande variabilité de la production, le temps limité durant la saison de travail, le manque de connaissances des acteurs clés en matière de prévention des TMS ou leur sous-déclaration au chapitre des obstacles. La connaissance de ces facteurs et de leurs dynamiques interrelationnelles s’avère incontournable pour concevoir des actions adaptées efficaces. Comme le font ressortir les résultats de l’étude, ces facteurs peuvent poser des défis, mais aussi représenter des occasions favorisant la mise en place de projets de changement visant l’amélioration des conditions de travail en vue de contribuer à la santé et la production. Au chapitre des facteurs facilitants (leviers), les plus mentionnés étaient la reconnaissance de deux réalités des acteurs de ce milieu : l’importance de la problématique des TMS et les difficultés et risques pour la santé liés au travail. « Nos résultats mettent également en évidence des liens étroits entre le secteur de la transformation alimentaire et celui de la production agricole et de la pêche. La proximité, dont font état les résultats, porte à soulever l’hypothèse que des facteurs identifiés pourraient également être à considérer lors de l’implantation d’interventions visant la prévention des TMS en contexte saisonnier dans ces secteurs d’activité », ajoute la chercheuse.
Des travailleuses et travailleurs sous-représentés
« Nous avons découvert que même en présence d’instances en SST dans l’entreprise, déjà rare dans ces milieux, les travailleuses et travailleurs saisonniers étaient sous-représentés, explique Marie-Eve Major. Ils sont pour ainsi dire invisibles puisqu’ils ne travaillent qu’une saison dans l’année, et pourtant ils restent très touchés par les TMS. Certains de ces travailleurs et travailleuses reviennent année après année avec des TMS qui évoluent vers la chronicité, a-t-il été démontré dans de précédentes études. »
« À travers les résultats de l’étude, notamment au chapitre de leviers identifiés, il s’agit maintenant de voir comment on peut accompagner les milieux et les intervenantes et intervenants afin qu’ils prennent en charge efficacement le développement d’interventions visant à améliorer les conditions de travail capables de prévenir les TMS, poursuit Marie-Eve Major. Ces interventions doivent surtout être bâties autour de la réalité et des besoins spécifiques de ces milieux. »
Les scientifiques estiment que ces indicateurs à considérer lors de l’implantation d’interventions à visée préventive pourraient s’appliquer à d’autres secteurs, comme la construction, l’hôtellerie et la restauration, qui embauchent aussi des travailleuses et travailleurs saisonniers.
La validation de la typologie mise au point dans cette étude dans d’autres secteurs d’activité et dans des entreprises variées pourrait éclairer les intervenantes et intervenants en milieu de travail dans les choix et les décisions aptes à favoriser l’efficacité des interventions visant la prévention des TMS, croit la chercheuse. Elle pourrait aussi contribuer à l’élaboration d’interventions concertées.
Pour en savoir plus
Rapport de recherche :
Autrices et auteurs du rapport :
Marie-Eve Major, Université Laval, Centre de recherche interdisciplinaire sur le bien-être, la santé, la société et l’environnement (Cinbiose) et Université de Sherbrooke, Hélène Clabault, Centre de recherche interdisciplinaire sur le bien-être, la santé, la société et l’environnement (Cinbiose) et Université de Sherbrooke, Isabelle Feillou, Université Laval, Nicole Vézina, Centre de recherche interdisciplinaire sur le bien-être, la santé, la société et l’environnement (Cinbiose) et Université du Québec à Montréal, Audrey Goupil, Université de Sherbrooke, et Nicolas Roux, Université de Reims Champagne-Ardenne (France)