Prévention multiniveaux pour freiner le suicide chez le personnel policier
Par GUY SABOURIN
2 janvier 2024
Photo : Service de police de la Ville de Québec
Faisant régulièrement face à de multiples formes de violence et d’agression, à la détresse, voire à la mort, policiers et policières exercent un métier susceptible d’avoir des incidences non négligeables sur leur santé psychologique. Ce contexte de travail peut paver la voie à des problèmes de santé psychologique comme le trouble de stress post-traumatique et la dépression majeure, des conditions associées aux comportements suicidaires. Selon les données de la CNESST, de 2015 à 2019, les lésions psychologiques indemnisées étaient en proportion 5,2 fois plus élevées chez les policiers et policières que chez tous les travailleurs et travailleuses du Québec1.
Sensible à cet enjeu crucial du travail policier et soucieuse d’améliorer la prévention du suicide dans cette population, l’Association sectorielle du secteur des affaires municipales (APSAM) a mandaté Laurent Corthésy- Blondin, membre du Centre de recherche et d’intervention sur le suicide, enjeux éthiques et pratiques de fin de vie (CRISE) et du Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal (CR-IUSMM), Marie- Hélène Poirier, conseillère en mobilisation des connaissances à l’IRSST, et Christine Genest, professeure à la Faculté des sciences infirmières de l’Université du Montréal, chercheuse régulière au CRISE et au CR-IUSMM, pour produire un guide d’information assorti de pistes d’action à l’intention des organisations policières. Ce document découle d’une revue de la littérature scientifique et de la littérature grise, soit ce qui existe sur les différents sites Web des organisations policières et autres associations. Son titre : Guide d’information sur la prévention du suicide chez le personnel policier.
Le suicide se nourrit de l’accumulation de facteurs de risque
En matière de suicide, il existe des facteurs de risque universels, individuels et sociaux. Ce sont par exemple des antécédents de comportements suicidaires, des problèmes de santé physique ou psychologique, le désespoir, un divorce, la consommation d’alcool, la stigmatisation ou la perte d’une ou d’un proche par suicide. D’autres risques bien documentés, spécifiques au contexte de travail, peuvent s’y ajouter. Dans le cas des policiers et policières, il s’agit entre autres de l’exposition régulière à des événements potentiellement traumatiques (EPT), de stress chronique lié au travail, de l’accès à une arme à feu parmi l’équipement professionnel, des horaires atypiques, des mises en investigation ou des suspensions. La stigmatisation de la santé psychologique et des barrières à la recherche d’aide sont des éléments à ne pas négliger pour comprendre le risque suicidaire du personnel policier, lequel augmente avec l’accumulation de facteurs de risque, qu’ils soient individuels, sociaux ou organisationnels, combinée à un déficit de facteurs de protection, comme la résilience, le bien-être psychologique, le soutien social et l’accès à des services de santé psychologique, notamment.
Prévention globale
« Les représentants de milieux policiers nous demandent parfois s’il y a une cause et si on peut l’éliminer pour mettre fin au suicide chez les policières et policiers, indique Laurent Corthésy-Blondin. La réponse est non parce que le suicide est un phénomène complexe et multidéterminé. » À ce titre, la prévention n’est donc ni simple ni unidirectionnelle. Elle se décline en trois dimensions : primaire, secondaire et tertiaire. Par prévention primaire, on entend les campagnes de sensibilisation, les activités de formation et d’information ainsi que l’entraînement à la résilience. Il s’agit d’interventions universelles qui bénéficient à toute la communauté policière. La prévention secondaire inclut les programmes d’aide aux employés et employées, les activités de soutien des collègues et des gestionnaires, les programmes de gestion des événements potentiellement traumatiques, les lignes d’écoute et la postvention, soit l’ensemble des actions déployées en réaction à un suicide dans un milieu donné. Ces interventions visent le personnel policier montrant des facteurs de risque de suicide. La prévention tertiaire fait référence à la prise en charge des problèmes de santé psychologique et des comportements suicidaires. Elle cible spécifiquement les policiers et policières aux prises avec des facteurs de risque majeurs à cet égard, comme des problèmes de santé psychologique ou des comportements suicidaires.
Conformément aux recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé, le guide indique qu’il faudrait privilégier la combinaison de différents types d’interventions dans le cadre d’un programme global de prévention du suicide.
Un guide adapté au contexte québécois
Les autrices et l’auteur du guide ont recensé et analysé une grande quantité d’initiatives, de programmes et d’interventions primaires, secondaires, tertiaires et globales des différents corps policiers de la province. Ils ont également dégagé des pistes d’action dont des études ayant démontré les effets de certaines interventions sur les comportements suicidaires ou des facteurs d’influence soutenant l’efficacité de ces actions. Étant les plus opérationnelles possible, ces pistes s’adressent spécifiquement au personnel des organisations policières québécoises qui souhaitent mettre en place un programme de prévention du suicide. En plus de favoriser la santé psychologique de ces personnes, elles visent à faciliter la demande d’aide et à fournir une réponse adéquate en cas de détresse, de problèmes de santé psychologiques ou de comportements suicidaires.
« En annexe, des exemples en provenance du Québec et d’ailleurs dans le monde montrent aux organisations policières des interventions et des programmes qui pourraient être implantés dans leur milieu, indique Laurent Corthésy-Blondin. Elles pourront s’inspirer de ce document pour créer leur propre programme de prévention du suicide, selon les besoins de leurs effectifs et les moyens dont elles disposent. » L’expert rappelle que la prévention du suicide constitue une responsabilité partagée qui concerne tout le personnel des organisations policières, qu’il importe d’agir de manière concertée et de s’engager à long terme et en continu pour mettre en place et maintenir un filet de sécurité pouvant sauver des vies.
1. Lebeau, M. (2022). Valeurs estimées par le Groupe connaissance et surveillance statistique (GCSS) de la Direction de la recherche de l’IRSST (CNESST; 2014-2019) [Données non publiées]. IRSST.
Pour en savoir plus
Rapport : irsst.info/rg-1180