Rendre les espaces ouverts et les aires de coworking compatibles avec la SST

Par GUY SABOURIN

17 septembre 2024

Photo : iStock.com/vm

Apparus aux États-Unis et en Angleterre au début du XXe siècle, les espaces de travail ouverts se sont beaucoup répandus depuis les années 1960. Aujourd’hui, les technologies de l’information et le travail nomade favorisent leur essor, si bien qu’environ un bureau sur cinq serait aménagé à cet effet. Mais ces espaces ouverts, comprenant plus de quatre postes de travail décloisonnés, sont-ils ergonomiques et compatibles avec la santé et la sécurité ? C’est ce qu’a voulu savoir la chercheuse Marlène Cheyrouze, docteure en ergonomie, en menant une recherche financée par l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail, en partenariat avec plusieurs structures dotées d’une aire ouverte de la région métropolitaine de Montréal. Son rapport intitulé Le travail dans les espaces ouverts et de coworking : deux études en ergonomie de l’activité s’inscrit dans une étude plus large, entamée en 2018 sous la direction de Diane-Gabrielle Tremblay, sur les caractéristiques de ces espaces en ce qui concerne la SST.

« Ce travail de recherche veut combler le manque de travaux récents portant précisément sur la réalité du travail en espaces ouverts et de coworking, au Canada et au Québec, explique Marlène Cheyrouze. Il veut aussi outiller celles et ceux qui conçoivent, aménagent et gèrent ce type d’espaces. »

L’exposition aux regards et aux bruits, les difficultés de concentration, la densité d’occupation, la qualité des équipements du poste de travail, les exigences des tâches, par exemple, peuvent devenir des irritants ayant une influence sur les individus qui y travaillent. « Les effets de ces types d’espaces sur les personnes concernées, du point de vue de leur santé physique et mentale, de leur vie personnelle et de leur rendement au travail, nécessitent d’être explorés et pris en compte dans les réflexions sur leur gestion et leur aménagement », précise la chercheuse.

Quatre intentions de recherche

Pour en savoir plus sur la SST et l’ergonomie dans les espaces ouverts, Marlène Cheyrouze a établi quatre intentions de recherche : relever les conditions et les caractéristiques des interactions sociales spontanées qui s’y produisent ; comprendre comment les personnes qui y travaillent gèrent leurs appels et rencontres en visioconférence, lesquels se sont largement multipliés depuis la pandémie ; relever le niveau de concentration que perçoivent ces personnes et repérer les facteurs susceptibles d’influencer leur degré de concentration ; relever les « stratégies d’occupation » que ces personnes déploient pour maintenir leur concentration.

Les données ont été recueillies en 2022 et 2023 auprès de 87 personnes travaillant dans cinq espaces de coworking, dont la moitié fonctionnant selon un modèle d’économie sociale ou apparenté, et de 69 autres travaillant dans six espaces ouverts d’organisations variées, soit deux ministérielles, trois communautaires et une privée. Les scientifiques ont observé ces personnes, les ont rencontrées et interrogées, puis ont ensuite analysé le matériel ainsi recueilli.

Le bruit, principale nuisance

Le bruit constitue une des grandes sources de distraction identifiée dans les espaces de travail ouverts, plus précisément celui des conversations. « On met plus de temps à accomplir les tâches, on peut moins se concentrer, ça peut générer de la fatigue cognitive, voire de l’épuisement parce qu’on se trouve surstimulé en recevant plusieurs informations en même temps », illustre la chercheuse Marlène Cheyrouze.

Par contre, dans le même souffle, ces espaces ouverts sont aussi des lieux de socialisation. Les travailleurs et travailleuses autonomes les utilisent pour interagir avec d’autres groupes de professionnels, à la condition d’y travailler suffisamment longtemps pour se familiariser avec l’environnement et pour y constater des affinités. Les personnes salariées utilisent ces espaces pour interagir spontanément avec leurs collègues. « D’ailleurs, dans le travail hybride, on se réserve les tâches exigeant plus de concentration et d’intimité pour la maison et quand on vient au bureau, on s’attend à interagir », précise la chercheuse.

Au-delà des interactions, l’étude révèle des résultats intéressants par rapport à la gestion des appels et des visioconférences. Dans les espaces de coworkings, la majorité de ces interactions se passe dans des isoloirs et celles que les personnes choisissent de faire dans l’aire ouverte sont plutôt imprévues, courtes et de nature publique. Dans les organisations, la majorité des appels et des visioconférences se font dans l’aire ouverte, une pratique qui semble collectivement admise pour des mises au point rapides, ciblées et non confidentielles. « En fait, les appels peuvent influencer le choix des journées travaillées dans l’aire ouverte : il y a une tendance à les planifier sur les journées travaillées au domicile pour mieux maîtriser l’environnement sonore », indique Marlène Cheyrouze.

Bien connaître les utilisatrices et utilisateurs pour mieux aménager l’espace

Ces besoins différents mènent à la dimension de l’aménagement et de la gestion des espaces ouverts. La chercheuse adresse des recommandations aux gestionnaires, qui peuvent au besoin s’adjoindre des spécialistes en santé et sécurité du travail pour rendre leurs aménagements compatibles avec la SST.

« Si vous mettez beaucoup de personnes salariées travaillant pour le même employeur dans un espace de coworking, il faut s’attendre à ce qu’elles interagissent beaucoup entre elles, ce qui pourrait influer sur les travailleuses et travailleurs autonomes en recherche d’un espace calme qui leur donne en même temps l’occasion de rencontrer d’autres personnes », explique-t-elle. Les gestionnaires ont donc un rôle à jouer au moment de choisir les profils des occupantes et occupants, puis lors de l’aménagement de l’espace ouvert selon ces profils et la dynamique souhaitée. Des espaces ouverts thématiques selon les profils sont également envisageables. De quel degré d’intimité sonore les personnes qui y travaillent ont-elles besoin ? Faut-il stimuler les interactions et les connexions en organisant des activités conviviales ? Les groupes doivent-ils être plus homogènes ? Faut-il renégocier les règles de l’espace ouvert ?

« Toutes ces questions méritent qu’on s’y arrête, explique Marlène Cheyrouze. Ça demande vraiment un travail en amont. Et de façon plus large, tout réaménagement de l’espace devrait se négocier collectivement et progressivement, avec la participation de travailleuses et travailleurs concernés aux profils variés. »

Pour en savoir plus

Rapport : Le travail dans les espaces ouverts et de coworking : deux études en ergonomie de l’activité (R-1200‑fr)

Chercheuses : Marlène Cheyrouze et Diane-Gabrielle Tremblay, Université TÉLUQ, Laboratoire de l’Alliance de recherche université communauté sur la Gestion des âges et des temps sociaux ( ARUC-GATS).

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