Retour progressif au travail : des outils plus inclusifs

Par Catherine Couturier

7 mai 2024

Illustration : Pierre Durand

Pour mieux accompagner les personnes ayant des problèmes de santé mentale à reprendre leur emploi et pour tenir compte des récents changements sociodémographiques de la main-d’œuvre, deux outils de soutien du retour progressif au travail ont été adaptés.

Depuis une dizaine d’années, ces outils permettent de soutenir le retour progressif au travail de personnes ayant des troubles musculosquelettiques (TMS), soit le Guide d’évaluation de la marge de manœuvre (GEMM), destiné aux ergothérapeutes, et lOutil de retour progressif au travail (ORPAT), conçu à l’intention des milieux de travail qui accompagnent des cas moins complexes. Reconnus comme étant pertinents, valides et utilisables, ces outils ont été créés par Marie-José Durand et son équipe dans la perspective d’assurer une marge de manœuvre suffisante aux personnes qui reprennent progressivement le travail.

« Une des clés de la réadaptation, c’est d’intégrer un retour progressif au travail au cœur de l’intervention », explique d’emblée Marie-José Durand, professeure titulaire à l’École de réadaptation de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke. Dans le cas d’un TMS, les bonnes pratiques suggèrent qu’une personne salariée reprenne progressivement son travail (de quelques heures à quelques jours par semaine, avec une gradation), en s’assurant qu’elle dispose d’une marge de manœuvre suffisante à son poste. « Avoir de la marge de manœuvre, c’est avoir la possibilité d’utiliser différentes stratégies pour répondre aux exigences de son travail sans effet délétère sur sa santé et en répondant à la production demandée », rappelle Marie-José Durand.

Les personnes salariées en arrêt de travail pour des problèmes de santé mentale peuvent aussi bénéficier de ce type de mesure. « Généralement, les employeurs connaissent bien comment adapter le travail des personnes ayant des TMS, mais ils sont parfois moins familiers avec les façons de moduler le travail de celles qui ont des problèmes de santé mentale », constate Marie-José Durand.

Avec d’autres scientifiques membres du Centre d’action en prévention et réadaptation de l’incapacité au travail (CAPRIT), Marie-José Durand a entrepris d’adapter des outils existants pour que tant les personnes ayant des troubles musculosquelettiques ou de santé mentale que les populations qui présentent une variété de caractéristiques sociodémographiques puissent les utiliser. Le rapport intitulé Adaptation d’outils pour soutenir le retour progressif au travail, publié sur le site Web de l’IRSST, décrit cette démarche.

Mûrs pour un changement

« Depuis plusieurs années, les milieux de travail révèlent la grande prévalence des problèmes en santé mentale, et ce phénomène soulève des questionnements particulièrement importants chez les employeurs pour la gestion de l’invalidité », raconte Marie-José Durand. De plus, la main-d’œuvre du Québec est en pleine évolution : personnes issues de l’immigration, population vieillissante, questions de genre, etc. C’est de ces changements qu’est née l’idée d’adapter des outils pour les rendre « transdiagnostiques », c’est-à-dire pertinents aux retours progressifs en emploi en raison aussi bien de TMS que de problèmes de santé mentale, mais aussi inclusifs, c’est-à-dire applicables à l’ensemble des caractéristiques sociodémographiques (âge avancé, genre, groupe ethnoculturel minoritaire) des travailleuses et travailleurs concernés.

Dans un premier temps, deux groupes d’ergothérapeutes experts ont été consultés en vue de rendre les deux outils transdiagnostiques. Les scientifiques ont ensuite utilisé la méthode TRIAGE (une formule structurée de recherche d’information et de consensus) pour déterminer les adaptations à y apporter. « Chaque fois que les expertes et experts n’étaient pas d’accord, on discutait de la proposition en groupe », précise la chercheuse.

Six scientifiques experts ont ensuite examiné la version transdiagnostique de l’ORPAT, qui s’adresse aux milieux de travail, par rapport aux questions du genre, à l’âge, et à l’appartenance à un groupe ethnoculturel minoritaire. Leurs propositions ont permis de produire une première version inclusive de l’ORPAT transdiagnostique, laquelle a été soumise à 23 représentants et représentantes des milieux de travail qui ont pu s’exprimer en entrevue sur la possibilité d’appliquer cet outil à leurs milieux et de l’utiliser.

Bon pour un, bon pour tous

« Un des premiers constats de l’étude est la nécessité d’éviter de renforcer les stéréotypes associés à certaines caractéristiques qui sont courants dans la société », raconte Marie-José Durand. « Nommer les caractéristiques risque d’alimenter les stéréotypes existants », constate toutefois Marie-Andrée Paquette, coordonnatrice à la recherche à la Chaire de recherche en réadaptation au travail, qui a collaboré à l’étude. Plutôt que de proposer des adaptations associées à une caractéristique spécifique, les outils ont ainsi adopté un langage et des exemples universels. Par exemple, au lieu de dire à l’employeur d’adapter ses explications devant des personnes issues d’un groupe ethnoculturel minoritaire pour éviter les problèmes de compréhension et de communication, qui surviennent fréquemment selon les experts consultés, l’outil suggère plus généralement de « s’assurer que le langage utilisé est compris par la personne salariée ».

De même, plutôt que d’élaborer une version distincte pour les troubles de santé mentale, l’équipe de recherche a ajouté des précisions et des adaptations aux outils originaux en tenant compte des symptômes et des enjeux particuliers de la population atteinte. Ainsi, différentes propositions de moyens permettant de moduler l’activité de travail ont été ajoutées, par exemple, l’usage d’un espace de travail présentant des stimuli réduits, l’intégration de logiciels ou encore le télétravail. « Il faut s’assurer que l’individu ait une marge de manœuvre suffisante tout au long du processus de retour. Un des risques, si une personne revient au travail de façon non progressive, c’est que les exigences soient tellement fortes qu’elle ne puisse pas y faire face, ce qui pourrait entraîner une rechute ou un nouvel arrêt », souligne Marie-José Durand

De la théorie au terrain

Les chercheuses et chercheurs aimeraient ultimement mettre ces outils à l’essai pour évaluer leur efficacité, mais déjà, la majorité des 23 milieux de travail consultés ont trouvé l’ORPAT utilisable et envisagent de l’intégrer à leur processus de retour au travail à la suite d’une longue absence. Les personnes consultées provenant surtout de grandes entreprises québécoises, « il reste à explorer si l’ORPAT pourrait aussi être une ressource intéressante pour les petites et moyennes entreprises, qui ont des enjeux différents sur la gestion des retours au travail », nuance Marie-José Durand. Les milieux de travail pourront ainsi disposer sous peu de l’ORPAT adapté, tandis que le GEMM fait l’objet d’une formation offerte en collaboration avec l’Ordre des ergothérapeutes.

Pour en savoir plus

Rapport : Adaptation d’outils pour soutenir le retour progressif au travail (R-1189-fr)

Chercheurs et chercheuses : Marie-José Durand, Marie-France Coutu, Chantal Sylvain et Marie-Andrée Paquette, Université de Sherbrooke, Daniel Côté, Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST)

IRSST

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