Marie-Ève Richard
Quand le soleil menace tout le monde… même les travailleurs
Par Karolane Landry
5 mars 2024
Photo : Collection personnelle
À l’âge de 24 ans, Marie-Ève Richard a vu son univers s’écrouler : les médecins lui annoncent qu’elle a un cancer de la peau, un mélanome de stade 1. Elle remporte la bataille contre celui-ci, mais, à 39 ans, une récidive la frappe de plein fouet. Cette fois, il s’agit d’un mélanome de stade 3, contre lequel les traitements sont plus agressifs et invasifs. Aujourd’hui en rémission, Marie-Ève milite sans relâche pour la prévention du cancer de la peau. Pour cela, elle donne des conférences dans les écoles et les milieux de travail afin de sensibiliser les gens à cette réalité. Nous nous sommes entretenus avec cette battante.
Marie-Ève, quelles étaient vos habitudes lorsque vous avez été atteinte d’un premier cancer de la peau, à l’âge de 24 ans?
M-È.R. : Il faut savoir que je suis une personne à la peau pâle, avec un faible phototype. Donc, à la base, j’ai de grands risques de dommages cutanés. Lorsque je m’expose au soleil, je ne bronze pas, je brûle presque instantanément. Au début de la vingtaine, j’étais très complexée par cette blancheur, d’autant plus qu’être bronzée était la mode. Je me faisais dire que j’avais le teint d’un fantôme. Durant cette période, je ne me protégeais pas contre les rayons UV et j’allais même dans les cabines de bronzage. On pense qu’on a tous la même tolérance aux rayons du soleil, mais c’est faux. Pour les personnes pâles, comme moi, la durée d’exposition doit être considérablement réduite si l’on ne porte pas de protection solaire. C’est donc dans ces circonstances que j’ai eu un premier cancer de la peau.
Vous parlez de phototypes de peau… De quoi s’agit-il?
M-È.R. : Les phototypes sont une catégorisation des types de peaux allant de 1 à 6. Ils sont basés sur la couleur de la peau, des cheveux et des yeux. Ils déterminent ce que l’on peut supporter comme exposition solaire. En connaissant son phototype, on sait comment bien se protéger. Par exemple, les individus de phototypes 1 et 2 ont la peau très pâle, les cheveux roux ou blonds et les yeux bleus. Ils ne supportent pas les rayons du soleil et brûlent très rapidement. Les individus de phototype 3 ont une peau claire, des cheveux châtains ou blonds et bronzent graduellement. Les individus de phototype 4 ont une peau basanée et les cheveux châtains ou bruns. Leur peau bronze bien. Finalement, les individus de phototypes 5 et 6 ont la peau foncée ou noire. Leur peau brûle rarement et bronze beaucoup. Toutefois, une précision s’impose : les individus de phototypes 4 à 6 peuvent rester plus longtemps exposés au soleil, mais ils ne sont pas moins à risque de développer un cancer de la peau s’ils ne se protègent pas.
Comment avez-vous vécu l’annonce de ce premier cancer à un si jeune âge?
M-È.R. : À 24 ans, ce n’est pas une chose à laquelle on s’attend. C’est l’âge pour prévoir son avenir, sa carrière… pas de recevoir un tel diagnostic. Ça m’a chamboulée et je me suis posé beaucoup de questions sur mon mode de vie. Par exemple, j’ai arrêté de fréquenter les salons de bronzage. Ç’a été le plus gros impact et ma plus grande introspection.
Quels ont été les signes précurseurs de ce cancer de la peau?
M-È.R. : J’avais un grain de beauté dans le dos qui me démangeait comme une piqûre de maringouin. Puisque cela représentait un changement cutané, j’ai commencé à m’inquiéter. J’ai consulté et fait analyser la lésion, et le test s’est avéré positif. Le mélanome m’a été enlevé en chirurgie d’un jour. Ensuite, j’ai eu des suivis médicaux pendant des années.
Et qu’en est-il du deuxième cancer?
M-È.R. : Cette fois, tout a commencé avec un ganglion enflé à l’aine droite. Sur le coup, je n’ai pas fait de lien. Je ne suis donc pas tout de suite allée consulter. Ça a finalement été un long processus et j’ai rencontré plusieurs spécialistes avant qu’ils découvrent que j’avais une récidive du cancer de la peau. Les traitements ont été beaucoup plus intenses, cette fois-là. J’ai été en immunothérapie ciblée pendant un an. Après l’opération, j’avais une chance sur trois d’avoir une phlébite ou des problèmes d’infection, puisque ça touchait les ganglions lymphatiques.
Comment vos habitudes ont-elles changé après cette récidive?
M-È.R. : Dans l’adversité, j’ai voulu obtenir le plus d’informations possible pour comprendre ce qui m’arrivait. C’est quoi, le cancer? Ça vient d’où? Les rayons UV sont composés de quoi? Comment s’en protéger? Quelle est la meilleure crème solaire? Je n’avais pas eu toutes ces informations lors du premier cancer. Je me suis donc informée par moi-même, j’ai rencontré des dizaines de professionnels et j’ai complètement changé mon mode de vie. Je reste toujours à l’ombre ou je suis complètement couverte. Je suis hypervigilante. Avec mes enfants, je suis la « police du soleil »! Cette expérience a complètement changé ma vie. Ça m’a fait perdre ma candeur et ma naïveté face au soleil.
Quel impact cette récidive a-t-elle eu sur votre famille?
M-È.R. : Le mot « cancer » fait peur à toute ma famille, particulièrement à mon mari. D’ailleurs, je voulais qu’il n’en parle à personne, pas même aux enfants. C’était ma façon de me protéger. Je devais être un soldat. J’avais besoin de force. Je l’ai annoncé aux enfants la veille de mon opération seulement, car je ne voulais pas les voir pleurer. Lorsque j’étais alitée, après la procédure, ma petite fille ne m’a pas regardée pendant au moins une semaine. Ça a été très difficile. Le cancer, ça touche vraiment tous les aspects de la vie : le couple, la famille, les finances, etc.
On pense souvent, à tort, qu’un coup de soleil est bénin. Qu’en est-il réellement?
M-È.R. : Un coup de soleil, c’est un mécanisme de défense de la peau. Quand on sait ça, on comprend qu’on doit s’en protéger. Si l’on a une peau qui bronze facilement, elle n’a pas de dommages, mais dès qu’elle rougit, elle brûle. La brûlure disparaît avec le temps, mais son empreinte sous-cutanée demeure. La peau a une « mémoire ». C’est l’accumulation de ces brûlures répétées, avec le temps, qui a des effets sur l’ADN des cellules et cause le cancer de la peau.
Vous avez su transformer ces expériences négatives en réalisations positives. Racontez-nous…
M-È.R. : J’ai voulu m’impliquer et créer des projets. Dans l’adversité, nos valeurs ressortent. J’aime être bienveillante, protéger les gens. Mon côté philanthrope est toujours très présent. J’ai voulu faire quelque chose qui pouvait m’aider et aider les autres. J’ai donc lancé une marque de maillots de bain à manches longues avec protection solaire qui s’appelle Krabēo. J’ai aussi réalisé un documentaire en collaboration avec la Coalition Priorité Cancer au Québec. J’y ai soulevé toutes les problématiques en lien avec la sensibilisation au cancer de la peau. J’ai appris tellement de choses que je devais les communiquer aux autres. J’avais envie de crier sur tous les toits que c’est important de se protéger, qu’il s’agit d’un cancer évitable! Je suis aujourd’hui une militante de la lutte contre le cancer de la peau. Je veux toujours en parler, sensibiliser, conscientiser. Je me suis impliquée avec des organismes comme la fondation Sauve ta peau, pour laquelle je suis ambassadrice pour le Québec, des marques de protection solaire, et je donne des conférences… Tout ça donne un sens à ce que j’ai vécu.
Pourquoi est-il important de parler de protection contre les rayons du soleil dans un contexte de travail?
M-È.R. : Cette réalité doit être nommée et il faut en parler. Souvent, les gens ne font pas le lien entre le soleil, le fait de s’être exposé pendant plusieurs années et une maladie de la peau comme un cancer. C’est souvent banalisé, entre autres chez les travailleurs. Ainsi, c’est important que ceux et celles qui travaillent à l’extérieur entre 11 h et 15 h se protègent adéquatement, notamment en portant des manches longues et un chapeau. En effet, les rayons ultraviolets sont très forts durant cette période. Ces travailleuses et travailleurs n’ont pas choisi de mettre leur santé en danger tous les jours. Si l’on prend l’exemple des personnes qui travaillent sur les toitures, elles sont directement exposées aux rayons du soleil. Si elles ne mettent aucune protection solaire, elles risquent d’être brûlées à la fin de la journée.
Selon vous, comment peut-on prévenir le cancer de la peau?
M-È.R. : Il faut se protéger du soleil adéquatement. Lors des pires périodes d’exposition, les personnes qui ne peuvent pas travailler à l’ombre devraient, en plus de porter des manches longues et un chapeau, appliquer de la crème solaire, de la même façon qu’elles portent un casque ou des bottes de sécurité. C’est le même principe! Là, je parle de chantiers, mais il y a une grande variété de gens qui travaillent à l’extérieur, comme les sauveteuses et sauveteurs sur les plages, l’été. Je pense d’ailleurs que d’offrir la protection solaire aux travailleuses et travailleurs dans les milieux de travail serait une excellente façon de prévenir le cancer de la peau. D’ailleurs, plusieurs villes ont récemment décidé d’offrir des distributrices de crème solaire, une initiative de la fondation Sauve ta peau. Bien sûr, je comprends que, dans certains milieux, l’application de crème solaire toutes les deux heures serait complexe. Dans ces cas-là, le port de vêtements avec des manches munies d’une protection UV est une façon efficace de se protéger. Il faut savoir que les premières parties du corps frappées par les rayons du soleil sont la tête, le visage, les épaules et les bras. Un arsenal quotidien idéal pour bien se protéger comprendrait un chandail avec des manches à protection UV, un chapeau, des lunettes de soleil et de la crème solaire sur le visage. Si l’on protège bien les travailleuses et travailleurs, on peut sauver des vies!
Bon à savoir
Le cancer de la peau serait évitable dans 90 % des cas, lorsqu’on se protège adéquatement des rayons du soleil.