TMS : le cas des techniciens ambulanciers paramédicaux

Par Claire Thivierge

19 mai 2017

Ils prodiguent les premiers soins aux blessés, secourent des malades qui sont parfois dans un état critique et sauvent des vies. Ils font chaque jour face à la maladie dans des contextes toujours différents et des conditions climatiques et physiques parfois difficiles et se retrouvent souvent devant des situations imprévues. Ils sont à la fois soignants, intervenants psychosociaux et manutentionnaires.

Ils évacuent les patients en les transportant sur une civière, qu’ils doivent guider sans flancher dans un parcours par moments malaisé. Les techniciens ambulanciers paramédicaux (TAP) subissent ainsi davantage de lésions professionnelles – dont près de 60 % résultent d’un effort excessif ou d’une réaction à un mouvement inadéquat – et prennent souvent leur retraite plus tôt que les autres travailleurs, incluant ceux du milieu de la santé. Pourtant, aucune étude n’avait à ce jour documenté sur le terrain les facteurs de risque auxquels ils sont exposés. Sous la direction de Philippe Corbeil, c’est ce qu’ont fait des chercheurs du Département de kinésiologie de l’Université Laval et de l’IRSST, en observant 101 TAP à l’oeuvre durant 175 quarts de travail pour décrire l’exercice de leur métier et quantifier leur exposition aux risques de troubles musculosquelettiques (TMS).

Ambulances SST

« Ce travail comporte des situations vraiment exigeantes qui mettent le travailleur à risque de développer un TMS, dit d’emblée Philippe Corbeil. La variation que nous avons constatée sur le terrain n’était pas bien documentée dans la littérature. Il n’y a jamais deux situations pareilles. L’état du bénéficiaire, le lieu de l’intervention, l’environnement sont chaque fois différents. De plus, la notion d’urgence colore l’intervention et le risque. Les protocoles de soins bien minutés créent une pression, même si nous avons évalué que 80 % des situations sont non urgentes. » Ces travailleurs doivent néanmoins prendre sur-le-champ des décisions cruciales et c’est l’état de santé du patient qui dicte le choix des soins à lui donner et le code de priorité de son transport vers un centre hospitalier. Bien que certains cas leur accordent une latitude décisionnelle, lorsqu’il s’agit d’une réelle urgence, un arrêt cardiaque ou un trauma grave, par exemple, « là, tout explose, poursuit le chercheur, la charge de travail, les postures contraignantes, la force excessive, la pression temporelle, l’effort mental, tout devient exacerbé ». Et comme les TAP doivent en tout temps assurer la sécurité et le confort du patient, ils peuvent aller jusqu’à épandre des abrasifs ou déneiger les voies de sortie lorsque la nature se mêle de compliquer les choses.

Les ambulanciers travaillent en équipe de deux : un TAP donne les soins au patient tandis que l’autre prépare le matériel d’évacuation et conduit le véhicule. En alternant ces rôles d’une intervention urgente à l’autre, ils peuvent réduire leur exposition aux facteurs de risque. « Imaginons un bénéficiaire étendu au sol, inconscient, dit Philippe Corbeil. Le TAP doit le stabiliser en appliquant la procédure clinique pour s’assurer que tous ses signes vitaux soient bien contrôlés avant de le déplacer. Cela représente une grande charge de travail mental, en plus de postures contraignantes. Pendant ce temps, son collègue s’active et même s’il adopte lui aussi des postures contraignantes, elles ne sont pas statiques, il reste en mouvement. En présence de la famille ou de proches, il va souvent créer une ‘bulle’, comme un écran, afin d’assurer les meilleures conditions pour que son coéquipier prodigue les soins au patient avec toute la concentration nécessaire. » Le chercheur souligne qu’il s’agit là d’un autre aspect de la relation de soins, psychologique, celui-là, avec la tension et le stress qui en découlent.

Ambulances SST

Les chercheurs ont aussi constaté des différences selon l’âge, le sexe ou le poids des TAP. « Le groupe le plus à risque au niveau postural, ce sont les jeunes hommes », affirme Philippe Corbeil, car ils ont parfois tendance à présumer de leur force. Dans le cas des femmes, si elles ne montrent pas plus d’indices de fatigue que leurs collègues masculins, elles subissent par contre une charge mentale supérieure. « C’est une contrainte psychosociale plus présente dans les situations très urgentes, précise le chercheur, et un aspect qui mérite d’être davantage investigué. » Les scientifiques ont par ailleurs été surpris de constater que les TAP obèses travaillaient de façon sécuritaire en adoptant des postures plus neutres que leurs confrères. Même que leur « surplus de poids peut les aider à pousser la civière lorsqu’il y a une résistance, dans une pente, par exemple ».

Retoucher le portrait

Après avoir dressé le portrait du métier d’ambulancier, l’équipe de recherche a ciblé trois pistes de prévention. La première consiste à prévenir les risques à la source, en revoyant d’abord l’habitacle du véhicule. « À l’image des postes de travail dans les bureaux, les composantes de celui de l’ambulance devraient être ergonomiques et ajustables. Ainsi, les TAP assignés aux soins n’adopteraient pas tant de postures contraignantes », témoigne Philippe Corbeil. S’il est impossible d’intervenir sur les risques que présentent les lieux où se trouvent les patients, on pourrait en revanche – et c’est la deuxième piste de prévention – améliorer les équipements, notamment la civière chaise pour faciliter les montées d’escalier et le passage d’obstacles, sans oublier la planche dorsale, difficile à manier dans les escaliers et les cadres de portes. « Éviter le soulèvement de la civière et de la civière-chaise soulagerait les travailleurs de l’effort excessif. Un soulèvement de moins, c’est un risque de moins. »

Ambulances SST

En troisième lieu, en plus de ses connaissances cliniques et de la maîtrise des principes de déplacement sécuritaire du bénéficiaire (PDSB), un TAP a tout avantage à posséder les habiletés requises pour analyser les situations ainsi que des habiletés à communiquer et à diriger afin que soit appliqué le plus sécuritaire des scénarios d’évacuation possible. « Il est important que les ambulanciers développent ces compétences en continu, avec différents coéquipiers, dans une diversité de mises en situation réalistes et à l’aide d’une rétroaction juste », affirme Philippe Corbeil. Finalement, les TAP ont aussi une responsabilité individuelle à l’égard de leur propre sécurité. « On a vu des situations où le déplacement d’un patient en fort surplus de poids les poussait près de leurs limites », constate le chercheur. Pour exercer ce métier aussi noble qu’exigeant, les travailleurs devraient par conséquent s’astreindre à un entraînement physique adéquat et adopter de saines habitudes de vie.

Accès rapide aux faits saillants

Les travaux des chercheurs ont servi à concevoir un document de sensibilisation d’une trentaine de pages à l’intention des intervenants en SST de ce secteur. Le coeur du document est constitué d’une synthèse des résultats de la recherche, de la description des principales tâches, des facteurs qui y sont rattachés ainsi que de pistes de prévention.

Pour en savoir plus

CORBEIL, Philippe, André PLAMONDON, Angelo TREMBLAY, Jérôme PRAIRIE, Dominique LAROUCHE, Sandrine HEGGG-DELOYE. Mesure de l’exposition du technicien ambulancier paramédical aux facteurs de risque de troubles musculosquelettiques, DS-958, 30 pages.

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