Comment favoriser le retour et le maintien durable au travail dans les PME du secteur manufacturier
Par Guy Sabourin
6 mai 2025
Photo : iStock.com/Arand
L’incapacité au travail reliée aux troubles musculosquelettiques (TMS) affecte une grande portion de travailleuses et de travailleurs, et constitue un fardeau financier et humain considérable. Les TMS, qui représentent presque 30 % des lésions professionnelles indemnisées par la CNESST, sont reconnus comme l’une des premières sources d’invalidité dans le monde.
Ils génèrent aussi des coûts directs pour la société (soins, médicaments) et de grandes répercussions pour les entreprises en raison de l’absentéisme et de la perte de productivité. Cette réalité se vit plus durement dans les PME (499 employés ou moins), qui connaissent au Québec un taux plus élevé d’accidents professionnels jumelé à une performance plus faible en santé et sécurité du travail. Dans le secteur manufacturier québécois, 51 224 PME emploient 974 200 personnes, soit 62,7 % de sa main-d’œuvre totale.
« Pourtant, dans la littérature scientifique, la gestion de l’incapacité et les pratiques de retour et maintien durable au travail (RMDT) sont encore peu explorées en contexte de PME du secteur manufacturier, contrairement à la grande entreprise », explique l’ergonome et chercheuse à l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) Iuliana Nastasia, professeure associée à l’École de réadaptation de la Faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke, autrice de l’étude Retour et maintien durable au travail en contexte de petites et moyennes entreprises. Elle a cherché à mieux comprendre cette réalité tout en identifiant et ciblant des leviers capables de favoriser le RMDT dans les PME.
Les milieux de travail sont responsables de la gestion des invalidités, laquelle comporte en gros l’accommodement des travailleurs et travailleuses pour prévenir les absences et la saine gestion de leur retour au travail, un processus dynamique faisant appel à différents intervenants et intervenantes internes et externes. On ne peut copier-coller dans les PME ce qui se fait dans les grandes entreprises. « Il faut comprendre la réalité, les contraintes et les défis des PME du secteur manufacturier, et adapter l’approche de prévention en conséquence, » explique la chercheuse. En général, ces plus petites entreprises doivent faire preuve de créativité et de flexibilité dans leur gestion des invalidités, ne disposant pas des moyens financiers et du personnel des grandes.
Méthode et constat principal
Dans un premier temps, la chercheuse et son équipe ont mené des entretiens individuels semi-dirigés avec huit dirigeants et responsables de la gestion des invalidités au travail dans huit PME de différentes tailles. Ils ont ensuite récolté les échanges de groupes de discussion focalisés constitués de 16 intervenants et intervenantes en gestion de l’invalidité externes à ces entreprises, dont des ergothérapeutes et des ergonomes, ainsi que des représentants et représentantes de mutuelles de prévention et d’assureurs. Ils ont enregistré puis analysé les propos tenus lors de ces rencontres.
Si certaines pratiques identifiées se rapprochent des bonnes manières de faire, la chercheuse note que les besoins de connaissances demeurent élevés et que la mise en place de structures de collaboration fait encore défaut, plus particulièrement dans les PME de petite taille. C’est le constat principal de l’étude. « Les employeurs ont besoin d’être sensibilisés davantage aux cas des limitations fonctionnelles lors des assignations temporaires ou du retour progressif au travail, indique Iuliana Nastasia. Les structures et mécanismes de collaboration entre PME et professionnels de la réadaptation doivent également être renforcés pour améliorer la prise en charge et le suivi des travailleurs et travailleuses ayant subi une lésion professionnelle. »
Des leviers pour améliorer l’efficacité
L’analyse des propos recueillis a aussi permis d’identifier des leviers potentiels favorisant l’adoption de bonnes pratiques en matière de RMDT à l’usage des PME. Une absence reliée à un TMS comporte trois phases : l’absence, la reprise et le maintien durable au poste prélésionnel, pour chacune desquelles des actions ont été définies. Par exemple, durant l’absence, les gestionnaires ont intérêt à désigner un intervenant ou une intervenante, interne ou externe, qui gère cette période en maintenant la communication avec la personne temporairement invalide. Au moment où celle-ci revient au travail, elle doit pouvoir bénéficier de l’appui de ses supérieures et supérieurs immédiats pour l’aménagement, temporaire ou permanent, de son poste. En ce qui a trait au maintien durable au travail, l’importance du suivi et du soutien de la ou du supérieur immédiat, aussi bien que des collègues, est ressortie. Des politiques et des procédures plus claires et formalisées de la gestion des invalidités, basées sur la collaboration avec les parties prenantes et sur les réalités des milieux de travail, favoriseraient le retour et le maintien durable au travail.
« Pour sensibiliser les PME à ces leviers, il s’agirait essentiellement d’informer et de former les milieux de travail sur l’importance du processus de RMDT, indique Iuliana Nastasia. Il conviendrait que les professionnels et professionnelles externes en réadaptation, aussi bien que ceux provenant des milieux de l’assurance et des mutuelles de prévention, se structurent et interagissent pour offrir un soutien constant aux PME en les guidant vers des choix d’action favorables. À l’heure actuelle, cette collaboration est limitée, par manque de ressources et à défaut de structures. »
Pour en savoir plus
Rapport scientifique :
Retour et maintien durable au travail en contexte de petites et moyennes entreprises (R-1213-fr)
Autrices et auteur du rapport :
Iuliana Nastasia, IRSST, Marie-France Coutu, Université de Sherbrooke, Valérie Lederer, Université du Québec en Outaouais, Alexandra Lecours, Université du Québec à Trois-Rivières, Romain Rives, IRSST, et Marie-Élise Labrecque, Université de Sherbrooke