Prédire les départs hâtifs dans le milieu de l’enseignement ?

Une étude financée par l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en Sécurité du travail (IRSST) propose une méthode inédite d’analyse longitudinale des absences par trajectoires dans le secteur de l’éducation au Québec.

Combien de fois vous-vous êtes absentés lors de cinq dernières années pour une invalidité physique ou psychologique ? Et, en cas d’absence, pour combien de jours ? Et au cours de dix dernières années ? Effectivement, cela n’est pas toujours facile de se souvenir de ces détails, surtout sur une longue période. Au Québec, les absences pour invalidité du travail dues à une lésion de nature physique ou psychologique n’épargnent pas le secteur de l’éducation. En particulier, les coûts associés à une perte de temps indemnisée par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail dans le secteur de l’enseignement frôlaient 39 M$ en 2017-2018 pour les lésions de nature psychologique et musculosquelettique, une somme considérable.

Il se trouve que les centres de services scolaires de la province colligent des données sur l’absence du travail certifiée par des professionnels et professionnelles de la santé. Ces données administratives sont d’une grande valeur dans le domaine de la prévention, car, si traitées, elles peuvent aider à décrire un portait plus exhaustif de la durée et de la fréquence des absences du travail annuelles pour invalidité physique ou psychologique. Ces informations peuvent ensuite être mises en lien avec le lien d’emploi pour mieux comprendre les trajectoires professionnelles et prévenir les départs hâtifs, ainsi que les très couteuse rechutes.

Étude longitudinale d’envergure

À notre connaissance, pour toute une première fois au Québec, une étude financée par l’IRSST et menée par la chercheuse Alessia Negrini, a permis d’analyser des données administraives anonymisées de l’ensemble du personnel d’un centre de service scolaires (CSS) québécois afin de mieux comprendre si les jours d’absence du travail pour invalidité peuvent parfois précipiter la fin du lien d’emploi, pour cause de départ anticipé à la retraite ou de démission.

L’équipe de recherche, multidisciplinaire et internationale, a appliqué des méthodes d’analyse statistique à une grosse banque de données colligées au CSS et a pu en dégager des trajectoires d’absence observées sur 5 et 10 ans.

L’étude, bien que réalisée dans le secteur de l’enseignement, tient compte également des données d’absence du personnel enseignant, mais également de celles d’autres fonctions, comme celles des cadres, du personnel de soutien et des professionnels.

Trajectoires d’absence

Les résultats de cette étude ont permis de dégager quatre trajectoires d’absence . sur cinq ans, entre 2013 à 2018, en montrant que la plupart de l’échantillon composé du personnel réguliers à temps plein n’a aucun jours d’absence pour invalidité. Quant aux autres trajectoires, l’étude en montre trois autres :pour cause physique seulement, psychologique seulement ou à la fois physique et psychologique. « Les jours d’absence se produisent en grande majorité sur une seule année scolaire et que les absences de de nature psychologique ont plus de chance d’être observées chez les femmes », constatent les auteurs et autrices de l’étude. Ce résultat n’a pas surpris l’équipe de recherche en sachant que d’autres études avaient déjà montré auparavant comme les femmes soient plus exposées à certains risques psychosociaux (comme le harcèlement ou la surcharge de travail) et qu’elles déclarent plus que les hommes leur problèmes de santé psychologique.

Retraite hâtive et démission

Quant au fait de quitter hâtivement le CSS, l’étude montre que la décision de prendre une retraite hâtive, anticipée avec des pénalités financières, est observée surtout parmi le personnel enseignant œuvrant dans le secteur préscolaire/primaire. Ce choix de fin de carrière ne semble pas être influencée par les absences pour invalidité vécues au cours de 5 années précédentes la retraite. Au contraire, les analyses statistiques montrent le personnel du CSS ayant une durée moyenne d’absence pour invalidité physique supérieure reste plus longtemps en emploi, jusqu’à la retraite régulière avec une pleine pension.

Même chose en ce qui concerne les cas de démission qui touchent particulièrement le personnel plus jeune et ayant moins d’années de service au CSS : le nombre de jours d’absence pour invalidité n’est pas plus élevé chez les membres du personnel qui démissionnent comparativement à celui de travailleurs et travailleuses qui demeurent en poste. À la lumière de ces résultats, « il serait intéressant qu’une prochaine étude évalue le rôle joué par des facteurs de risque psychosociaux liés au travail sur la décision des hommes et des femmes de [laisser leur emploi dans le secteur de l’enseignement] », lit-on dans le rapport de recherche.

La réelle valeur de cette étude est méthodologique, concluent les scientifiques. Parce que tous les centres de services scolaires du Québec disposent de données administratives comparables à celles qui ont été analysées, la méthode utilisée dans cette étude pourrait en effet être répliquée ailleurs. Cela ouvrirait par exemple la porte à la mise en place d’interventions ciblées pour la prévention de l’invalidité au travail et la promotion du maintien en emploi en santé de son personnel selon la phase de carrière dans laquelle il se trouve.