Remplacer le Dichlorométhane par des produits moins nocifs, une démarche aussi nécessaire que délicate
Par Guy Sabourin
4 mars 2025
Illustration : iStock.com/Nattawut Posri
Dans le meilleur des mondes, personne ne serait exposé aux solvants organiques, une préoccupation majeure en santé et sécurité du travail. Pourtant, au Québec, 300 000 travailleurs et travailleuses le sont régulièrement, tandis qu’on en fabrique encore 20 millions de tonnes annuellement dans le monde. Ces solvants peuvent être toxiques pour différents organes, alors que pour l’environnement, ils peuvent poser des risques d’incendies et d’explosions. L’une de ces substances, le dichlorométhane (DCM), irritant, cancérogène et cause de la production endogène de monoxyde de carbone lors de sa transformation métabolique, inquiète particulièrement la santé publique, qui considère la nécessité de le remplacer en priorité. Or, la démarche de remplacement n’est ni anodine ni simple. C’est pourquoi Caroline Couture, conseillère en hygiène du travail à l’Université de Montréal et affiliée au Centre de recherche en santé publique, a coordonné une revue de la littérature pour repérer les options de rechange au DCM. Son équipe a consulté des bases de données bibliographiques et factuelles ainsi que des rapports d’études de cas. Cette étude, qu’a financée l’Institut Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST), figure dans une série de monographies sur la substitution des solvants publiées par le même groupe de recherche de l’Université de Montréal.
LE DCM ENCORE TRÈS UTILISÉ
Encore aujourd’hui, des milliers de travailleuses et travailleurs au pays sont exposés au DCM. Alors qu’en Europe il est interdit dans les décapants à peinture depuis 2012, les États-Unis ont entrepris de limiter ou d’interdire son utilisation. Au Canada, il est pour le moment interdit dans les cosmétiques en aérosols, bien qu’on l’utilise encore comme solvant dans les décapants à peinture et les dégraissants, comme milieu réactionnel dans la synthèse de produits pharmaceutiques et de pesticides ainsi que comme solvant pour extraire des substances organiques. Des risques de surexposition subsistent dans les secteurs du fuselage en avionnerie, de la carrosserie automobile, la production de produits organiques industriels et de plastiques, la fabrication et la réparation de structures de bois, la fabrication d’ascenseurs et d’escaliers mobiles.
Puisque les lois et réglementations restreignent peu à peu son utilisation en Occident, nombre d’entreprises s’efforcent, ou devront s’efforcer sous peu, de remplacer le DCM dans de nombreuses applications.
SUBSTITUER SANS CRÉER DE NOUVEAUX RISQUES
La monographie issue de la recherche fait la synthèse des différents volets à considérer lors d’une substitution du DCM dans les milieux de travail, dont la SST et l’environnement. Elle recense les principales applications industrielles et aborde les options de remplacement pour aider les spécialistes de l’hygiène du travail et de l’environnement à faire les bons choix. Car, dans le cas d’une substitution mal réussie, il peut arriver que le remède soit l’équivalent du mal.
Cette recherche a identifié 17 substances de remplacement. « Substituer constitue une démarche complexe, en neuf étapes, lors de laquelle on doit être accompagné d’experts », explique Caroline Couture. « Ça prend des gens compétents et formés (comme des hygiénistes du travail, des associations sectorielles paritaires [ASP] ou des conseillers en SST) et une volonté de la direction pour piloter une démarche encadrée avec essais, visites d’entreprises, analyses d’options et tests à petite échelle », ajoute Maximilien Debia, professeur titulaire à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, chercheur principal de l’étude. Il faut notamment éviter de déplacer le ou les risques. Il faut protéger les travailleuses et travailleurs, bien sûr, mais aussi s’assurer que la substitution ne nuit pas à l’environnement, n’augmente pas les risques d’incendie ou encore n’intensifie pas le bruit en employant un procédé mécanique de substitution, ou un procédé qui prend trois fois plus de temps.
Il convient d’utiliser des outils d’analyse comme le VHR (Vapor Hazard Ratio) et la cote P2OASys (Pollution Prevention Option Analysis System), le statut de la substance selon REACH (Registration, Evaluation, Authorisation and Restriction of Chemicals) ou selon la liste des substances préoccupantes de l’ECHA (European Chemicals Agency), ou encore, au Québec, de rechercher des produits certifiés Green Seal, Safer Choice ou ECOLOGO, pour avancer à pas prudents vers les meilleurs substituts possibles. « Une analyse fonctionnelle du solvant à remplacer doit aussi être effectuée, ce qui permet d’évaluer sa nécessité et d’envisager une solution sans solvant », explique Caroline Couture. Par exemple, décaper avec des méthodes thermiques ou mécaniques, remplacer les colles par des adhésifs thermofusibles, le perçage ou le vissage, utiliser des presses numériques et du nettoyage automatique de l’imprimerie offset.
ATTENTION À L’ÉCOBLANCHIMENT
Les deux auteurs interviewés mettent en garde contre l’écoblanchiment. Plusieurs cas d’information erronée ou inadéquate ont été détectés durant leur recherche. Des mentions comme « biodégradable » ou « intelligent » sont parfois trompeuses. Certains logos ou acronymes sont parfois contrefaits ou calqués à peu de choses près sur les versions officielles. « Il y a des enjeux de SST et d’environnement dans ces produits, rien à prendre à la légère », conclut Maximilien Debia.
Pour en savoir plus
Rapport : Substitution du dichlorométhane (R-1207-fr)
Autrices et auteurs du rapport :
Caroline Couture, Jérôme Lavoué, Isabelle Valois et Maximilien Debia, Département de santé environnementale et santé au travail de l’Université de Montréal, École de santé publique de l’Université de Montréal, et Philippe Sarazin, IRSST