Un banc d’essai pour tester la flottabilité des habits de combat d’incendie
Par Karolane Landry
29 octobre 2024
Photo : Here/Shutterstock.com
Par le passé, il est arrivé que des pompiers portant leur habit de combat d’incendie (bunker suit) soient emportés par le courant et perdent la vie lors d’opérations de sauvetage. Cela a soulevé des questions : l’habit de combat d’incendie présente-t-il un risque pour les pompiers et pompières qui interviennent sur l’eau et à proximité de l’eau? Une veste de flottaison individuelle (VFI) diminue-t-elle leur risque de noyade s’ils tombent à l’eau? La CNESST y a répondu en effectuant des tests de flottabilité en collaboration avec le centre de formation aux mesures d’urgence de Lévis et le Service de sécurité incendie de la Ville Québec. Voici les résultats mis en lumière lors de cette journée.
En premier lieu, il importe de préciser que peu d’information existe sur la flottabilité des habits de combat d’incendie et qu’aucune des données consultées ne répondait aux questionnements spécifiques de l’équipe de travail concernée. « Pendant l’enquête, nous avons réalisé que, lors de sinistres liés à la sécurité civile, par exemple, plusieurs pompières et pompiers vêtus de leur habit de combat d’incendie aidaient des gens. Certains faisaient du sauvetage nautique avec ces habits et une veste de flottaison individuelle (VFI). Nous avons décidé d’effectuer les tests avec ces équipements », explique Caroline Pelchat, inspectrice à la CNESST. Pour cela, divers scénarios ont été élaborés. « Nous voulions obtenir de l’information sur la flottabilité de l’habit de combat d’incendie et sur la capacité d’un individu qui porte cet équipement à effectuer son autosauvetage », explique-t-elle. L’équipe cherchait aussi à évaluer l’impact de l’ajout d’une VFI par-dessus l’habit de combat sur la flottabilité.
Des scénarios multiples
À l’initiative de la CNESST, un comité de travail a été mis en place. Il était formé de membres de l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail, secteur affaires municipales (APSAM), d’écoles de formation dans le domaine des incendies, de la Société de sauvetage, du ministère de la Sécurité publique ainsi que de représentants syndicaux et patronaux. Au total, 15 scénarios ont été élaborés et testés dans le bassin d’eau du centre de formation aux mesures d’urgence de Lévis. « Le comité de travail a suggéré plusieurs éléments à valider, dit Mme Pelchat. On s’est demandé ce qu’on voulait tester et selon quels paramètres. » Ainsi, l’équipe a testé des chutes selon différentes positions de départ, avec un habit de combat complet, avec un demi-habit, sans et avec les bottes, sans et avec VFI, etc. Elle s’est également interrogée sur l’état mental dans lequel se trouve une pompière ou un pompier qui tombe à l’eau. En effet, le fait d’être calme ou en panique peut faire une grande différence sur la flottabilité d’un individu. Finalement, des tests d’autosauvetage sur une embarcation et en bordure du bassin d’eau ont été réalisés.
Une journée productive
Les trois pompiers qui ont participé aux tests possèdent une certification de plongeur et font partie de l’unité spécialisée de sauvetage nautique. « On comprenait qu’on allait se laisser couler dans l’eau et qu’on aurait besoin d’un support d’air, raconte Gaétan Auclair, pompier pour la Ville de Québec. En arrivant, on nous a expliqué les scénarios à tester. On était très bien encadrés. Il y avait un sauveteur présent, un treuil accessible ainsi qu’un plongeur au fond du bassin d’eau. La sécurité avant tout! » Lorsque les pompiers étaient dans l’eau avec leur habit, ils devaient effectuer certaines techniques d’autosauvetage. « Un bateau avec une longe, une corde, une échelle et une ligne de vie complétaient la scène, ajoute M. Auclair. Je devais nager dans le bassin et m’agripper à un bord plus haut pour essayer de me sortir de l’eau. On a pu voir qu’à certains moments, même mes techniques d’autosauvetage ne fonctionnaient pas. »
15 tests, 5 conclusions
Les tests ont permis à la CNESST de tirer cinq conclusions majeures. Premièrement, sans VFI, peu importe la position qu’une pompière ou un pompier portant un habit de combat d’incendie adopte dans l’eau, elle ou il finira par couler. « Il y a une petite période tampon : quand une personne tombe à l’eau, une poche d’air se forme autour de son cou et demeure tant qu’elle reste calme, dit Mme Pelchat. Cette poche d’air la maintient hors de l’eau pour une courte période, mais est évacuée dès que la personne effectue des mouvements dans l’eau. Le pompier ou la pompière coule alors comme une roche. Toutefois, nos tests ont été faits dans un bassin d’eau. Dans un lac ou une rivière, le courant et les vagues contribuent à évacuer la poche d’air plus rapidement. »
Deuxièmement, durant la période dont dispose la pompière ou le pompier avant de couler, il lui est difficile de se mouvoir dans l’eau avec un habit de combat d’incendie. Le port d’une VFI lui permet donc de mieux nager et de se déplacer dans l’eau.
Troisièmement, il a été conclu qu’il était impossible de se hisser seul hors de l’eau, sur le bord du bassin, en portant un habit de combat d’incendie. « Les personnes qui ont essayé lors des tests n’ont pas réussi. En raison du poids de l’habit, l’aide des pairs est nécessaire, affirme Caroline Pelchat. Cependant, le retrait des bottes permet à un pompier entraîné de se sortir seul de l’eau. » « Dans notre bunker suit, nous avons une sous-couche intérieure isolante, explique Gaétan Auclair. Lorsqu’elle se remplit d’eau, cela ajoute du poids, en plus des bottes, qui sont lourdes. J’ai remarqué qu’au moment de l’autosauvetage, le plus difficile est de sortir les pieds hors de l’eau avec les bottes. »
Quatrièmement, il n’est pas possible de se hisser hors de l’eau sur un zodiac avec un habit de combat d’incendie complet. « C’est vraiment trop lourd, affirme M. Auclair. Je suis chanceux d’avoir vécu ça parce que, personnellement, en 26 ans de carrière, je ne suis jamais tombé à l’eau avec un bunker suit, mais ça pourrait arriver. Ça m’a fait réaliser que des mesures préventives doivent être prises. Encore une fois, le retrait des bottes m’a permis de m’en sortir. »
Cinquièmement, il a été établi qu’une pompière ou un pompier qui tombe à l’eau avec une VFI flottera, mais qu’elle ou il demeurera quand même une victime qui aura besoin d’aide pour s’en sortir.
Des apprentissages essentiels
Les résultats des tests de flottabilité confirment que le port de l’habit de combat d’incendie lors d’interventions sur l’eau ou à proximité de l’eau présente un danger pour les pompières et pompiers. « Le contexte actuel de changements climatiques semble démontrer qu’il se produira davantage de sinistres pour lesquels ces derniers seront les premiers mandatés pour intervenir, termine l’inspectrice. On veut qu’ils soient informés, formés et qu’ils aient les équipements nécessaires pour intervenir de façon sécuritaire. » Les résultats de ces tests seront donc partagés avec tous les services de sécurité incendie et avec les écoles de formation afin que des mesures préventives soient mises en place pour éviter que des accidents surviennent.