Performance sous ordonnance : des pilules pour mieux travailler?

Par Karolane Landry

18 novembre 2025

Photo : Juta/Shutterstock.com

Dans un monde où productivité est souvent synonyme de succès, des travailleuses et travailleurs se tournent vers des substances censées les aider à mieux performer. Stimulants, anxiolytiques, bêta-bloquants, médicaments sur ordonnance, drogues illégales… Ces pilules « coups de pouce » promettent une concentration accrue, une énergie soutenue et une meilleure résistance au stress. Mais à quel prix? Leur consommation, de plus en plus normalisée, soulève des questions majeures en matière de santé et de sécurité du travail (SST). Julie Carignan, psychologue organisationnelle, conseillère en ressources humaines agréée (CRHA) et associée-directrice chez Humance, nous en dit plus.

Les motivations derrière la consommation de substances visant à améliorer la performance au travail sont multiples. Pour certaines personnes, il s’agit d’un moyen de répondre à des exigences professionnelles jugées irréalistes. Des horaires surchargés, des quarts de travail prolongés et une pression pour maintenir un rendement élevé peuvent pousser des travailleuses et travailleurs à chercher des solutions pour combattre la fatigue et éviter de commettre des erreurs. « Pour certains, c’est presque une question de survie; ils se disent qu’ils n’y arriveraient pas sans », explique d’emblée Mme Carignan.

D’autres utilisent ces substances dans une logique de compétition et d’ambition, cherchant à se démarquer de leurs collègues en augmentant leur concentration, leur endurance ou même leur créativité. « Il y a des études qui ont démontré que, dans certains milieux, comme en musique, certaines personnes se sont mises à prendre des bêta-bloquants pour éviter les tremblements qui peuvent survenir en situation de stress », rapporte Mme Carignan. Enfin, des gens y ont recours pour mieux gérer le stress et l’anxiété liés à leur environnement de travail.

Des risques physiques… et psychologiques

« Ces substances représentent un risque parce qu’évidemment, tout bénéfice a un coût, explique l’experte. On gagne des bienfaits temporaires, mais cela a des conséquences. » En effet, l’utilisation de ces substances peut entraîner des effets secondaires qui finissent par nuire à la santé et à la performance. Ainsi, un effet rebond peut survenir après avoir pris un fort stimulant : l’amélioration de l’attention du matin est suivie d’une baisse marquée en fin de journée. Cela peut augmenter les risques de fatigue, les erreurs professionnelles et même les accidents du travail. « De plus, certaines substances peuvent altérer le jugement et réduire l’anxiété au point où des personnes prennent des risques inconsidérés », souligne l’intervenante, qui met en garde contre les conséquences potentielles sur la vigilance et la prise de décision. En plus des effets secondaires, qui varient selon le type de produit consommé, la métabolisation de ces substances peut exercer une pression accrue sur certains organes et entraîner leur usure prématurée. De surcroît, l’habitude de recourir à des drogues ou des médicaments « auto-prescrits » (non recommandés par un médecin) peut mener à une dépendance et ainsi rendre la personne incapable de fonctionner sans eux.

Au-delà des conséquences individuelles, la consommation de substances pour améliorer la performance peut aussi transformer la culture d’un milieu de travail. Lorsqu’elle devient une norme implicite, les travailleuses et travailleurs peuvent ressentir une pression à y adhérer. « Si tout le monde en prend et que, moi, je n’en prends pas, j’ai l’impression d’être à la traîne », simule Mme Carignan. Cette dynamique peut favoriser un environnement malsain où l’épuisement est banalisé et où la solution suggérée n’est pas le repos, mais plutôt l’ingestion de stimulants. Une telle culture du dépassement à tout prix peut mener à des risques accrus pour la santé et fragiliser le climat de travail en normalisant des pratiques potentiellement dangereuses.

Un enjeu organisationnel

Selon Mme Carignan, le recours aux substances pour améliorer la performance au travail est souvent le symptôme d’un problème plus profond : un climat de pression intense et des exigences irréalistes. En effet, lorsqu’un nombre significatif de travailleuses et travailleurs se tournent vers ces solutions, cela soulève des questions sur l’environnement de travail lui-même. « C’est un signe qu’il y a quelque chose d’excessif », affirme Mme Carignan, en comparant cette réalité au dopage dans le sport. Ainsi, un milieu où l’anxiété et l’épuisement sont omniprésents peut mener à une consommation de substances accrue pour tenir le coup. « N’est-ce pas un signal d’alarme lorsque des travailleuses et travailleurs, en nombre anormalement élevé, sentent le besoin de se médicamenter pour gérer leur quotidien? » s’interroge-t-elle.

Qui est responsable?

Selon l’experte, la responsabilité face à l’usage de substances pour améliorer la performance en milieu de travail est à la fois individuelle, organisationnelle et sociétale. Toutefois, interdire ces substances par une politique stricte ne serait pas une solution, puisqu’elles sont déjà réglementées. « Le problème ne réside pas seulement dans la prise elle-même, mais inclut les raisons qui poussent les employés à y recourir », rappelle Mme Carignan. Ainsi, plutôt que de punir les membres du personnel, les employeurs devraient s’interroger sur leurs propres pratiques : y a-t-il une surcharge de travail? Un climat malsain? Des attentes irréalistes? L’enjeu principal est d’offrir un environnement de travail sain, d’ouvrir le dialogue et de soutenir les travailleuses et travailleurs en difficulté. « Pour moi, les organisations ont des responsabilités, affirme Mme Carignan. Elles doivent sensibiliser aux risques, proposer des solutions saines et revoir les conditions de travail afin de prévenir ces comportements plutôt que d’en traiter les symptômes. »

La CNESST rappelle que l’article 49.1 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) oblige les travailleurs à s’assurer que, lorsqu’ils sont au travail, leur état ne présente pas un risque pour eux ou pour autrui, notamment en raison de leurs facultés affaiblies par l’alcool, la drogue, y compris le cannabis, ou une substance similaire. Suivant les articles 51.2 et 196 de la LSST, les employeurs et les maîtres d’œuvre sur les chantiers de construction doivent également s’en assurer.

Prévenir le dopage au travail

Selon l’experte, une approche globale s’impose si l’on veut contrer le recours aux substances stimulantes en milieu de travail; celle-ci doit allier sensibilisation, évaluation et mise en place d’options saines. D’abord, il est crucial de mieux outiller les gestionnaires et les équipes des ressources humaines, qui ne sont pas toujours formés pour aborder ces enjeux. « C’est pour cette raison que l’Ordre des CRHA a créé un panel et rédigé des articles sur le sujet. Il fallait conscientiser la profession », souligne Mme Carignan. Ensuite, plutôt que d’aborder directement la question du dopage, elle suggère d’adopter une approche indirecte, au moyen de sondages anonymes distribués à l’interne. Cela permet d’évaluer les niveaux de stress, la charge de travail et la perception des attentes liées à la performance, car ces facteurs sont souvent à l’origine du problème. Sur le plan individuel, il faut savoir qu’il existe des solutions de rechange simples et éprouvées aux stimulants. « Bien manger, bien dormir et faire de l’exercice, c’est la clé du succès! », rappelle l’experte, en insistant sur l’importance d’avoir une bonne discipline personnelle pour préserver son énergie à long terme. Enfin, elle ajoute que, sur le plan organisationnel, les employeurs doivent prendre régulièrement le pouls des travailleuses et travailleurs en les interrogeant sur leur bien-être. De plus, créer un équilibre entre les périodes exigeantes et les moments de répit est essentiel pour éviter l’épuisement et préserver une productivité durable, ce qui s’inscrit dans la responsabilité de prendre en charge les risques psychosociaux liés au travail ayant un impact sur la santé physique et psychologique des travailleurs.

L’experte termine en rappelant que, si la performance est essentielle, elle ne devrait jamais se faire au détriment de la santé. Une réflexion collective s’impose afin de rééquilibrer les attentes sur le plan professionnel et de promouvoir un environnement de travail plus humain, où la performance repose sur des bases saines et durables.

« Ces substances représentent un risque parce qu’évidemment, tout bénéfice a un coût. On gagne de la stimulation temporaire, mais elle a des conséquences. »

– Julie Carignan, associée-directrice chez Humance

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