Arrêt de travail : les clés pour favoriser un retour durable
Par Paul Therrien
23 septembre 2025
Photo : fizkes/Shutterstock.com
Que ce soit en raison d’un problème de santé physique ou psychologique, de nombreuses personnes s’absentent de leur travail pour une période prolongée. Or, pour plusieurs, le retour en emploi peut être semé d’embûches, au point de mener, parfois, à un nouvel arrêt de travail. Les conséquences sont lourdes, tant pour les individus que pour les organisations. Mais alors, comment favoriser un retour au travail sain et durable? Marie-José Durand, professeure titulaire à l’École de réadaptation de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke, a abordé cette question lors d’une conférence présentée à l’occasion du Grand Rendez-vous de la CNESST.
Différents problèmes de santé, comme une dépression majeure ou une entorse lombaire sévère, peuvent entraîner une incapacité à travailler pendant quelques jours, quelques semaines ou quelques mois. Les statistiques actuelles montrent clairement que, plus l’absence est longue, plus la probabilité de retour en poste diminue. Par ailleurs, pendant les absences prolongées, les milieux de travail tendent à se réorganiser pour maintenir leur niveau de productivité. Le retour au travail d’une personne après une absence prolongée peut alors être perçu comme un risque de ralentissement de la productivité, nécessitant de nouveaux ajustements de la part du personnel. Pour faire face à cette réalité et favoriser une reprise harmonieuse, tant pour la personne que pour l’organisation, il est important de bien planifier sa réinsertion.
Selon Marie-José Durand, la construction d’une marge de manœuvre est essentielle lors de la planification d’un retour au travail durable. Cette marge de manœuvre est définie par l’adéquation entre les exigences, c’est-à-dire ce qu’on attend de la personne qui réintègre son poste, et les moyens mis à sa disposition pour y répondre. Il peut s’agir, par exemple, de l’accès à des outils, de l’alternance des tâches ou encore du jumelage avec une ou un collègue. L’experte et son équipe ont développé l’Outil pour soutenir le retour progressif au travail (ORPAT), basé sur ce concept de marge de manœuvre, pour soutenir les organisations dans la gestion des retours au travail. Cet outil leur est accessible gratuitement.
« Pour […] favoriser une reprise harmonieuse, tant pour la personne que pour l’organisation, il est important de bien planifier sa réinsertion. »
Une démarche en six étapes pour soutenir le retour au travail dans les organisations
Les travaux de Mme Durand ont permis d’identifier six grandes étapes à suivre pour optimiser le retour au travail après un arrêt prolongé et favoriser le maintien en emploi dans les organisations. À chaque étape, différents acteurs doivent être mobilisés : les gestionnaires, les représentants syndicaux, les collègues, la personne qui revient au travail et la personne responsable de l’ensemble des actions liées au processus de retour au travail. Cette dernière, souvent désignée par l’acronyme CORAT1 (coordonnateur de retour au travail), veille à la fluidité de la démarche et soutient les différents intervenants et intervenantes, tout en gardant la personne en invalidité au cœur des actions. L’experte considère que la présence d’une personne agissant à titre de CORAT est essentielle à la réussite du retour au travail.
Étape 1 : Maintenir les liens
Dès la réception d’un billet médical, la personne responsable de la gestion des absences dans le milieu de travail doit en informer le CORAT. Celui-ci envoie alors à la personne en invalidité une lettre ou un courriel indiquant les coordonnées des personnes-ressources et un aperçu du déroulement général du processus de retour au travail. Recevoir ces informations dès le début de l’absence permet de rassurer la travailleuse ou le travailleur et de clarifier les étapes à venir.
Étape 2 : Établir un premier contact
Quelques jours ou quelques semaines après le début de l’arrêt de travail, le CORAT communique avec la personne en invalidité pour lui offrir du soutien. Ce premier contact téléphonique permet d’expliquer de vive voix le rôle de chaque acteur impliqué dans le processus de retour au travail et de planifier une rencontre d’évaluation. Le CORAT peut aussi vérifier si la personne désire que son gestionnaire ou ses collègues communiquent avec elle pendant sa période d’absence et, si oui, selon quelles modalités (courriel, appel téléphonique, fréquence). Ce maintien des liens repose sur la reconnaissance que les communications appropriées peuvent avoir un effet positif sur la travailleuse ou le travailleur. Comme le souligne l’experte, elles contribuent, entre autres, à briser l’isolement, à renforcer l’identité de la personne et à garder un lien actif avec le milieu de travail.
Étape 3 : Évaluer les leviers et obstacles au retour au travail
En parlant avec la travailleuse ou le travailleur, le CORAT évalue des leviers et des obstacles susceptibles d’influer sur son retour au travail. Ceux-ci peuvent être d’ordre clinique (par exemple, une douleur persistante), social ou organisationnel. En collaboration avec les parties prenantes – personne en invalidité, gestionnaire, médecin, syndicat –, le CORAT évalue aussi les facteurs occupationnels (qualité des relations de travail, soutien aux gestionnaires, disponibilité des équipements, etc.) et les exigences du poste. Il est d’ailleurs important que cette évaluation ait lieu avant le jour du retour au travail afin que les correctifs nécessaires soient apportés en amont. Donner à la personne la possibilité de nommer les problèmes et les solutions lui permet de participer à l’évaluation de la situation, ce qui peut contribuer à son engagement actif dans le processus de retour au travail.
Étape 4 : Développer un plan et des aménagements
Au cœur de cette étape se trouve l’action concertée (AC), qui repose sur la mise en commun des ressources et des expertises des différents acteurs impliqués dans la gestion des absences pour favoriser un retour au travail efficace et durable. L’AC est orchestrée par le CORAT.
Il s’agit donc d’élaborer un plan de réinsertion comprenant les aménagements, et ce, avant même le rétablissement complet de la personne. Ces aménagements visent à combler l’écart entre les capacités réduites du travailleur ou de la travailleuse et les exigences du poste. C’est à ce moment que le concept de marge de manœuvre au travail doit être intégré.
Au besoin, le CORAT peut organiser une rencontre avec les parties prenantes pour clarifier les attentes de chacune et définir le plan de retour au travail en concertation avec la personne, le gestionnaire, les collègues et, au besoin, les représentants syndicaux, de même que les professionnels de la santé concernés. Il est essentiel que le gestionnaire connaisse les capacités et les limitations de la personne afin de proposer des aménagements de travail appropriés. Le CORAT peut l’accompagner à cet effet en discutant des enjeux de performance et de perceptions. Les collègues doivent être informés des grandes lignes du plan et des accommodements mis en place afin de favoriser une reprise harmonieuse pour tout le monde.
Étape 5 : Reprendre le travail
Des études révèlent que le déroulement des premiers jours suivant le retour au travail après une absence prolongée est déterminant. Ces premiers jours sont souvent marqués par un sentiment de vulnérabilité et des craintes de rechute. La confiance en soi et la productivité reviennent progressivement. C’est pourquoi il faut mettre en place des conditions gagnantes avant que la personne franchisse la porte du bureau afin d’assurer une reprise efficace et de favoriser le maintien en emploi.
Pour cela, le ou la gestionnaire doit rencontrer les autres membres de l’équipe pour les informer de la situation. Cette personne doit aussi s’assurer que le poste de travail de la personne sera disponible et qu’elle sera en mesure d’effectuer ses tâches. De plus, le ou la gestionnaire doit aussi être disponible ou désigner quelqu’un pour accueillir la travailleuse ou le travailleur le jour du retour.
Les collègues doivent être en mesure de s’ajuster au quotidien dans leurs propres tâches afin de respecter les aménagements convenus. La haute direction doit soutenir le gestionnaire, par exemple en diminuant temporairement certaines exigences de production. Le CORAT peut communiquer avec les parties prenantes pour suivre la progression de la personne et les rassurer sur le déroulement des étapes. Les représentants syndicaux et les professionnels de la santé peuvent également soutenir la personne dans le processus.
Étape 6 : Faire un suivi après le retour au travail
Le ou la gestionnaire doit s’assurer que les aménagements de travail convenus sont respectés, rencontrer la personne pour lui donner une rétroaction sur l’évolution de son retour au travail et déterminer si des ajustements sont nécessaires pour favoriser le maintien en emploi. Le CORAT, quant à lui, effectue des suivis réguliers auprès de la personne et du gestionnaire pour évaluer la progression du retour au travail et identifier les besoins. D’ailleurs, il peut fixer des rendez-vous téléphoniques périodiques – toutes les quelques semaines – avec la personne pour s’informer de sa progression.
Pour en savoir plus
Selon l’experte, pour qu’un retour progressif au travail soit réussi, il faut :
- désigner un CORAT, c’est-à-dire une personne qui s’assure de coordonner le retour au travail avec la personne et les différents acteurs concernés;
- prévenir la surcharge de travail chez les collègues en raison de l’absence de la personne;
- éviter d’avoir des attentes de performance trop élevées envers la travailleuse ou le travailleur lors de son retour, et les ajuster en fonction du rythme de reprise;
- informer les collègues des modalités du retour au travail (horaire, tâches) pour éviter les ambigüités;
- s’assurer que l’espace de travail de la personne et ses outils sont disponibles dès le premier jour du retour;
- offrir une marge de manœuvre suffisante pour que la personne puisse remplir ses fonctions sans nuire à sa santé.