Un travailleur est heurté par un véhicule
Par Geneviève Chartier
3 octobre 2023
Illustration : Jean-Philippe Marcotte
En juin 2021, un travailleur est heurté par un véhicule alors qu’il effectue des travaux de réfection de trottoirs en bordure d’une artère commerciale. Malheureusement, il décède des suites de ses blessures. Que s’est-il passé? Comment cet accident mortel aurait-il pu être évité?
Que s’est-il passé?
Le jour de l’accident, vers midi, le travailleur et son équipe arrivent sur le chantier et commencent la coulée et la finition des entrées charretières du boulevard perpendiculaire à celui où a eu lieu l’accident. Ensuite, ils refont trois autres entrées charretières sur le boulevard où a eu lieu l’accident, en partant du nord vers le sud. Vers 16 h, alors que les travailleurs s’affairent à la dernière entrée charretière, un camion de service se gare à contresens dans la voie de stationnement. Un camion-outil est également garé à contre-sens devant le camion de service et déborde de la voie de stationnement, dans la voie de circulation. Les éléments de signalisation sont donc déplacés en ligne avec le camion-outil pour créer une zone de travail permettant l’accès à la bétonnière.
Au fur et à mesure que les travaux de finition du béton avancent, les balises tubulaires sont déplacées vers le trottoir dans le but de délimiter un passage piétonnier qui permettra de contourner le trottoir après le départ des travailleurs. À la fin de la coulée, la bétonnière est déplacée de plusieurs mètres au sud de la zone délimitée par les éléments de signalisation et est stationnée en angle, en bordure de la voie, afin d’être nettoyée. Dans cette position, elle entrave une partie de la voie de circulation en direction nord. Pendant ce temps, le travailleur impliqué dans l’accident discute avec un collègue devant le camion-outil, hors de la zone délimitée par les éléments de signalisation.
Pour une raison inconnue, il se dirige ensuite vers le camion de service en passant du côté de la voie ouverte à la circulation. Vers 16 h 50, alors que la circulation est dense dans les deux directions, un véhicule qui circule vers le nord contourne la bétonnière, entre en collision avec le camion-outil et heurte le travailleur, qui décède de ses blessures.
Qu’aurait-il fallu faire?
Tout d’abord, il importe de préciser qu’un travailleur sur un chantier ne devrait jamais se trouver dans une voie ouverte à la circulation, car il s’expose ainsi au risque d’être happé par un véhicule. Il devrait plutôt circuler dans l’aire balisée prévue à cet effet.
Ensuite, il a été établi que la planification des travaux de réfection des trottoirs en bordure de route était déficiente et exposait les travailleurs à un danger de heurt. La Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) prévoit que l’employeur et le maître d’œuvre sur un chantier ont notamment l’obligation d’identifier, d’éliminer et de contrôler les risques pour les travailleuses et les travailleurs, de leur donner de la formation en lien avec ces risques et de leur assurer la supervision requise. Plus spécifiquement, le Code de sécurité pour les travaux de construction édicte certaines obligations pour un maître d’œuvre sur un chantier situé sur un chemin public ouvert à la circulation de véhicules routiers. En effet, le maître d’œuvre doit s’assurer que le chantier est pourvu d’une signalisation conforme au Tome V – Signalisation routière du ministère des Transports du Québec.
Sur le chantier qui nous occupe, un des plans de signalisation existants avait été choisi par le surintendant. Ce plan prévoyait un dégagement de sécurité de 1 m de largeur et un passage piétonnier de 1,5 m. Des balises coniques et tubulaires délimitaient ces zones. Toutefois, étant donné la configuration du chantier, la voie de circulation nord du boulevard, d’une largeur de 7,75 m, ne permettait pas de garder la voie de circulation ouverte d’un minimum de 3,2 m, comme prévu au plan. De plus, l’employeur n’a pas appliqué tous les éléments prévus à son plan de signalisation. En effet, il a omis d’installer des panneaux annonçant les zones d’avertissement, d’approche et de transition qui avisent les usagers à l’approche du chantier.
De plus, aucun biseau n’a été aménagé en amont de l’aire de travail pour guider les usagers de la route. L’employeur n’a pas non plus installé de balises délimitant le dégagement de sécurité, le passage piétonnier et l’aire de travail. De toutes les balises prévues au plan de signalisation, une seule ligne de balises tubulaires a été installée face au segment de trottoir en réfection. Ces balises ont d’ailleurs été rapprochées du trottoir à la fin de la journée, ce qui a laissé des équipements hors de la zone délimitée et a aggravé le problème de canalisation de la circulation.
Il est donc possible d’affirmer que l’aire de travail n’a pas été balisée adéquatement, puisqu’on aurait dû y inclure tout l’espace requis pour les travaux (et non seulement un segment de trottoir). En outre, l’aire de travail aurait dû être prévue de façon à inclure tous les déplacements des travailleurs afin qu’aucun d’eux ne puisse se retrouver dans une voie ouverte à la circulation. Les personnes qui ont choisi et installé la signalisation routière n’avaient pas reçu de formation spécifique à ce sujet, à l’instar des travailleurs qui ont effectué les travaux.
Finalement, l’employeur n’a pas donné de directives de sécurité ou de consignes autres que celle de replacer les balises tubulaires à la fin de la journée afin de créer un passage pour les piétons. De plus, il ne s’est pas assuré que la signalisation routière en place lors des travaux correspondait à celle prévue. Cette planification déficiente a malheureusement exposé les travailleurs présents à des dangers bien réels.
Personne-ressource : Pierre Privé, coordonnateur aux enquêtes, Direction générale de la gouvernance et du conseil stratégique en prévention à la CNESST
Enquête réalisée par : Jérémy Filion, ing., et Carlos Lara, inspecteurs à la CNESST
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